Les 2 et 3 mai sont des dates marquantes dans l’histoire de l’Art. Et, dans l’Histoire tout court : celle des destins nationaux, avec
leurs luttes d’indépendance.
Je pense aux deux chefs-d’oeuvre de Francisco Goya : Dos de Mayo et Tres de Mayo
(1). Ces deux tableaux montrent les massacres perpétrés par les armées françaises, sur deux
journées consécutives à Madrid, en 1808.
Il n’y avait ni photo, ni caméra à l’époque. Ces deux témoignages visuels en sont d’autant plus impressionnants, restituant avec
intensité ce drame dans son horreur, son désespoir et son héroïsme.
Napoléon avait envahi l’Espagne, renversant la monarchie espagnole et son gouvernement pour installer, à la place, son frère comme Roi d’Espagne, avec le titre de Joseph I.
Les affirmations de certains historiens qualifiant Napoléon de "grand stratège" m’ont toujours amusé. Il considérait l’Europe du XIX° siècle
comme celle du Moyen Age où, par conquête ou mariage, on pouvait installer sa famille selon son bon plaisir et en faire sa propriété familiale…
Excellent tacticien militaire sur un champ de bataille, il était complètement inculte en termes de géopolitique. Vouloir mettre ses frères et sœurs, gendres et beaux-parents à la tête de chacune
de ses conquêtes !... Ou, plus tard, contre l’avis de ses maréchaux expérimentés, envahir la Russie…
Bien sûr, son service de propagande faisait croire que c’était pour diffuser "l’esprit des lumières", "les idéaux de la Révolution Française",
le Code Civil, etc. Le plus curieux est de lire pareils propos dans nos manuels scolaires…
Même si le peuple espagnol n’éprouvait, à l’époque, aucune estime pour sa monarchie décadente, il n’a pas accepté cette invasion et la destitution de son gouvernement. L’armée française était,
alors, la plus puissante du monde. Nullement impressionné, le peuple de Madrid s’est révolté et s’est précipité sur les troupes commandées par un des plus illustres bras droit de Napoléon :
le général Murat.
Sans hésitation, se jetant à mains nues, armés parfois d’un simple couteau, les madrilènes se sont rués sur les cavaliers d’élite du général Murat : les dragons et mameluks.
L’armée espagnole aux ordres de l’oligarchie corrompue, collaborant avec les envahisseurs, n’est pas sortie de ses casernes, excepté un régiment d’artillerie qui s’est fait tailler en pièces
jusqu’à sa dernière cartouche. Le 2 mai 1808, le : Dos de Mayo. (2)
Dos de Mayo
Tres de Mayo
Murat pensait, en bon militaire, que la violence de la répression allait briser la résistance par la peur. Lui, et Napoléon, n’avaient rien
compris. Une nation ne se traite pas, ne s’aborde pas comme un simple champ de bataille. C’est l’Espagne entière qui allait se révolter à l’annonce des horreurs commises.
Napoléon allait ainsi, de longues années durant, user, démoraliser, dans une guerre, faite de « guérillas » et d’harcèlements
incessants, pour laquelle l’armée française n’était ni préparée, ni équipée, ses meilleures troupes, y perdre ses meilleurs officiers et son meilleur matériel.
Les horreurs de cette guerre ont inspiré à Goya, par la suite, la composition de cette série d’estampes terribles : "Les Désastres de la Guerre" (3). Elles renvoient, en écho, aux bouleversantes gravures de Jacques Callot : "Les Misères de la
Guerre", publiées en 1633. Avec pour toile de fond les ravages des guerres religieuses dans l’Europe du début du XVII° siècle : 230 ans plus tôt. Les bégaiements de l’Histoire…
Devant ces deux chefs-d’œuvre, je me demande comment Goya aurait représenté, de nos jours, le soulèvement des peuples Irakien et Afghan contre l’invasion et l’occupation de leurs
pays ?...
(1) Goya les a achevés en 1814. Ils sont exposés au musée du Prado, à Madrid.
(2) Lire le remarquable et émouvant ouvrage de l'écrivain espagnol Arturo Perez-Reverte, publié en octobre
2007, détaillant heure par heure ce soulèvement populaire. Très bien documenté, avec une excellente bibliographie et une carte du Madrid de l'époque où sont reportés les principaux lieux
d'affrontement. Sa traduction est disponible en français, sous le titre : Un Jour de Colère, éditions du Seuil, 354 pp., octobre 2008.
(3) Los Desastres de la Guerra, 80 gravures imprimées en 1863 (35 ans après sa mort).