Son livre de Mémoires (1) sous le bras, j’essaie de retrouver la maison achetée par Gore Vidal à Antigua, en 1946, pour 2000 dollars. Avant de la revendre, plus tard, et d’en acheter une en Italie, à Ravallo. C’est là (2) où il écrivait et recevait ses amis, dont la sulfureuse Anaïs Nin, entre autres.
Antigua. Mille mètres d’altitude. Site magnifique. Même sous les orages du mois d’août. Avec sa ronde de quatre volcans (3). Ancienne capitale du Guatemala. A la latitude du Sénégal. Elle s’appelait, à l’origine, Santiago de Los Caballeros, Saint Jacques des Chevaliers. Saint Jacques, le "saint patron" des conquistatores…
Fondée au XVI° siècle, elle devint le Siège d’une immense province de l’empire espagnol qui allait du Chiapas, au Mexique actuel, jusqu’au Panamá. Rivalisant vers la fin du XVIII° siècle, par son rayonnement, avec Mexico et Lima. Mais, c’était sans compter avec les puissances telluriques, qui secouent la ville à intervalles réguliers.


Petit pays (4), le cinquième de la France, frontalier du Mexique entre Pacifique et Atlantique, le Guatemala a tout pour séduire écrivains, poètes et artistes. Les paysages et leurs contrastes, superbes. Les centaines de sites historiques et archéologiques, dans les villes ou en pleine jungle. Saisissants de beauté et de sérénité.
Autre symbole de l’Amérique latine. Mais plus encore, de l’histoire de notre planète, de celle de l’Humanité. Choc, rencontre, croisement, fusion, de plaques tectoniques (5), de reliefs, de faunes, de flores, de climats. De civilisations, aussi, avec leurs cultures, leurs religions, leurs philosophies, leurs organisations sociales et économiques, leurs arts. Maya, caraïbe, européenne, africaine…. Les plus civilisées n’étant pas toujours celles qui s’autoproclament comme telles.

Les Mayas ne s’en sont pas remis. Leur nation, écrasée, démembrée (7), rançonnée, est devenue, de pillages en coups d’Etat, l’archétype de la "république bananière". Propriété d’une compagnie américaine, la célèbre United Fruit Company (8). C’est à ces "investisseurs étrangers" que fut concédé, en 1901, le premier contrat de culture de la banane. "Investisseurs" ? Des aventuriers sans scrupule, véritables successeurs contemporains des conquistadores, arrachant concession sur concession.
Progressivement. Construction d’un chemin de fer de Guatemala Ciudad à Puerto Barrios, sur l'Atlantique. Puis, monopole de l’exploitation du port, ensuite monopole des transports. Monopole de la banane, bien sûr, à part des arrangements avec quelques gros propriéaires terriens. Monopole du commerce extérieur et donc des douanes, monopole du télégraphe, de la poste, de la radio… Les monopoles se succédant, l’emprise sur le pays devient tentaculaire. Tentacules s’étendant à plusieurs Etats d’Amérique centrale, y compris Cuba. D’où son surnom El Pulpo : La Pieuvre.
Dans ses mémoires, Gore Vidal cite les propos d’un de ses amis guatémaltèques, Mario :
« … Les propriétaires de United Fruit… ils ont longtemps payé nos politiciens… ils paient encore les vôtres. Je te rappelle que l’un de vos sénateurs siège au conseil d’administration de El Pulpo…
Gore Vidal, stupéfait, découvre que ledit sénateur est un ami de sa famille, Henry Cabot Lodge, le "Kissinger" du moment… Il ajoute :
« … Furieusement "tory" (de droite)… en ce temps-là, je n’avais pas encore compris à quel point les grandes entreprises contrôlaient le gouvernement de notre propre république déclinante. De nos jours, bien sûr, tout le monde sait comment l’empire qui en est issu, avec son économie militaire, contrôle le monde des affaires. Le résultat final est à peu près le même pour le reste du monde ; simplement, les massacres sont plus étendus qu’auparavant, et nous ne nous contentons plus de faire des dégâts chez nos petits voisins, mais sur chaque continent. » (9)
Un président, régulièrement élu pour une fois, voulut mettre un terme à cette situation coloniale : Arbenz (10). Il lança une série de réformes. Notamment une réforme agraire, une des rares tentatives sur le continent, voulant distribuer des terres, non exploitées par les grands propriétaires, dont le principal la United Fruit Cy, au profit de 100.000 familles.
Ce fut sa perte. Accusé de "communiste", y compris par la hiérarchie de l'Eglise, il est renversé en juin 1954 par la CIA et des mercenaires financés par la United Fruit Cy. La campagne de désinformation sur le danger "communiste" fit rage plusieurs semaines avant le "coup", afin de préparer l’opinion américaine et internationale. En réalité, Arbenz espérait instaurer le libéralisme économique dans le cadre d’une authentique libre concurrence…
La dernière déclaration du président Arbenz, à la radio, brouillée par les mercenaires, vaut la peine d’être rappelée :
« … Les forces hétérogènes de la United Fruit envahissent le pays. Notre seul crime est d’avoir voulu décréter nos propres lois, d’avoir initié une réforme agraire qui touchait la United Fruit Company, de vouloir notre propre route vers l’Atlantique (11), notre propre énergie, nos propres ports. Notre crime est d’avoir voulu avancer, progresser et obtenir une indépendance économique. Nous avons été condamnés pour avoir donné des terres et des droits à la population paysanne… »
Une terrible répression s’abat sur le Guatemala. Toutes les réformes, engagées par le gouvernement Arbenz, sont immédiatement annulées. Début d’une guerre civile qui ne s’arrêtera par une trêve, tant bien que mal, qu’en 1996. Quarante ans d’horreurs. Les atrocités habituelles de l’armée et des milices au service de l’oligarchie, quel qu’en soit le lieu ou le contexte : escadrons de la mort, enlèvements, tortures, etc.

Une Maya autodidacte, Rigoberta Menchú, jouera un rôle important dans la fin de ce conflit. Elle y a perdu son père, brûlé vif, et sa mère torturée, violée et "disparue". Le prix Nobel de la Paix lui a été attribué en 1992, pour rendre hommage à ses efforts de contribution à la réconciliation nationale. Elle dut se réfugier à plusieurs reprises au Mexique. Organiser l’action politique des amérindiens du Guatemala est, actuellement, son credo.
En 2005, en pleine séance parlementaire, Rigoberta Menchú s’est faite traiter, par les hauts représentants de l’oligarchie au pouvoir, de "Sale Indienne"… Elle a réussi à faire condamner, symboliquement, les auteurs de ces propos racistes. Pour plus d’efficacité dans sa lutte en faveur des amérindiens et de la liberté, elle souhaite se présenter aux élections présidentielles du mois de septembre 2007. Souhaitons lui bien du courage (12)…
"Réconciliation nationale" ?... A ce jour, les assassinats de journalistes et d’opposants se poursuivent.
"Démocratie" et "Droits de (
(2) Il avait acheté, à Antigua, le couvent El Carmen, alors à moitié en ruine.
(3) Agua (3.766 m), Acatenango (3.976 m), Fuego (3.763 m) et Pacaya (2.580 m). Fuego et Pacaya sont encore actifs.
(4) 109 mille km². Population : 15 millions d’habitants, environ. Principales richesses : produits agricoles d’exportation (bananes, café, sucre). Pétrole et gaz, avec d’importantes réserves. Développement du tourisme. 80% de la population vit dans la pauvreté. 75% des terres fertiles sont détenues par 2% de la population.
(5) Pays aux 300 volcans, d’après les publicités touristiques. En fait, 324 officiellement recensés. Tous ne sont pas en activité. Mais les tremblements de terre y sont fréquents.
(7) La nation Maya s’étendait du sud du Mexique à l’Amérique centrale.
(8) La United Fruit Company s’appelle, à présent (depuis 1984), Chiquita Brands International Inc. Ce changement de nom donne une touche de respectabilité. Consultez leur rapport annuel. Un modèle de "com." !... On a envie, de leur accorder, chaque année, le Prix Nobel de la Bonne Conscience.
10) Elu avec 65% des voix, en 1950. Lors de son départ en exil pour le Mexique, les mercenaires l’ont obligé à se mettre nu devant les caméras des journalistes. Sous prétexte d’un contrôle de sécurité, au cas où il porterait une arme sur lui…