
S’extasier devant des merveilles architecturales, ou géographiques, rend-il idiot ? Ou, le degré de conditionnement intellectuel est-il d’une telle amplitude qu’il empêche tout esprit critique ? Sans vouloir refaire le monde à chaque respiration, ne peut-on franchir cette frontière invisible entre le "paradis" pour touriste à la recherche d’exotisme, et "l’enfer" que subit l’autochtone, en Amérique Latine ?
Admirer les vestiges d’une civilisation disparue empêche-t-il de "voir", dès que l’on s’éloigne du centre policé et clinquant des villes, des enfants se rendre, pieds nus, à leur école, où un maître sans moyens les attend : ni tableau noir, ni cahiers, ni livres ? Même pas une craie. Le plus beau cadeau à faire dans les bidonvilles ou à des villageois : distribuer des stylos ! Dans des pays dépensant, chaque année, des milliards de dollars pour des achats d’armement… Est-il impossible de se poser des questions, de chercher à comprendre, de ne pas accepter ?
Jalons d’un périple ? Au delà des saisissantes splendeurs, mon regard, aussi loin qu’il puisse porter, en dénombre cinq :
1. Le complet dénuement des populations paysannes d’origine amérindienne.
Cette pauvreté dure depuis plus de cinq siècles. Elle est inadmissible dans des pays d’une fabuleuse richesse. Cette misère sur fond de racisme et d’exclusion, de la part des descendants des colons confisquant richesses et pouvoir au détriment des amérindiens, est encore plus insoutenable. De cela, on ne nous parle jamais. Famine, malnutrition, misère, totalitarisme, racisme, exclusion, ne concerneraient que la Corée du Nord, la Chine ou la Russie, ou encore…
2. L’hallucinant impact d’une des colonisations les plus cruelles, violentes, inhumaines que l’Histoire ait connue.
Trois plaies apocalyptiques l’ont ravagé :
i) Le génocide. Le plus grand, avec celui qu’a enduré le continent Africain. Ce sont, sur cinq siècles, des millions de personnes tuées, réduites en esclavage, abruties de souffrances et de misères. Cette situation perdure, la marginalisation des amérindiens toujours présente, brutale ou subtile, suivant les contextes ou les rapports de force.
ii) La répression permanente. Pendant la "Guerre Froide", l’URSS réprimait les révoltes dans les pays de l’Est : Hongrie, Tchécoslovaquie, etc. Les médias occidentaux n’ont cessé de nous matraquer avec ces tragédies de la liberté étranglée. Mais, l’Occident faisait pire en Amérique Latine. L’essentiel, au prétexte de la "lutte contre le communisme", étant d’empêcher toute expression démocratique allant à l’encontre du pillage des "grandes puissances". Evidemment, les médias ne nous en parlaient et ne nous en parlent jamais.
iii) La dictature. Depuis "l’indépendance" des pays qui composent l’Amérique Latine, par rapport aux puissances colonisatrices d’origine (Espagne et Portugal), l’Occident soutient les pires dictatures et les régimes les plus corrompus. Dans la violence la plus sanguinaire, sous couvert de la "Guerre Froide". Depuis, dans des simulacres d’élections dont les résultats sont truqués, sur fond d’analphabétisme de masse, de menaces et de violences à l’encontre d’opposants. La liberté d’expression, de réunion, d’information est quasi inexistante, dès qu’il y a opposition au pillage de la nomenklatura, servant de prête-nom aux intérêts de l’Occident.
3. L’écrasante responsabilité de l’Eglise catholique.
Complice de la violence physique exercée contre les amérindiens, elle a assumé la gestion d’un génocide culturel :
i) La caution de la violence. Oubliant l’enseignement de Jésus, fondé sur l’amour du prochain, l’Eglise a cautionné, encouragé cette "hyper violence", ces crimes contre l’humanité. Impardonnables : les millions de conversions forcées, à l’encontre de l’esprit des Evangiles.
ii) L’enseignement fondé sur l’exclusion. L’Eglise a sciemment organisé la marginalisation des amérindiens au niveau de l’éducation. Car, pratiquement pendant cinq siècles, elle avait la responsabilité de l’enseignement. Seuls les descendants des colons y avait accès. Constater, au terme de plus de cinq siècles, des taux d’analphabétisme à hauteur de 80% (100% dans des zones entières), comme en Bolivie ou au Pérou par exemple, est inacceptable.
iii) La négation de l’identité amérindienne. Héritiers de grandes civilisations avec leurs architectes, astronomes, urbanistes, ingénieurs en infrastructure (irrigation, routes, ouvrages d’art, etc.), les amérindiens ont vu leurs langues et leurs cultures systématiquement combattues. Seule la tradition orale, séculaire, a permis leur survie et leur renaissance actuelles. Considérés comme une sous-humanité, ils ont été réduits à l’inculture et à l’esclavage. Aucune lutte contre le racisme anti-amérindien n’a été organisée et soutenue par l’Eglise. Impardonnable d’une religion qui se veut universaliste.
4. L’implacable ravage du "Libéralisme Economique".
L’Amérique Latine, exception faite de Cuba (1), n’a connu ni communisme, ni socialisme, ni autre forme de régime économique. Uniquement le "Libéralisme Economique". Pourtant, au bout de cinq siècles, ce n’est qu’injustice sociale et économique. Les riches devenant plus riches, et les pauvres, encore plus pauvres. On retrouve la conjonction des deux perversions fondamentales de cette idéologie ou croyance (2) :
i) Le pillage des ressources. Le "Libéralisme Economique", dans son application à l’Amérique Latine, n’est que le pillage par les pays occidentaux des richesses naturelles de ce continent, avec la complicité d’une bourgeoisie corrompue.
ii) L’enrichissement sans limite de la caste au pouvoir. Le "Libéralisme Economique" se révèle incapable d’assurer une équitable redistribution des richesses et des revenus de la collectivité. Le spectacle d’une classe sociale s’enrichissant sans frein n’est qu’un paravent dissimulant une réalité humaine, collective, majoritaire, pétrie de douleur et d’humiliation.
Cet échec créant une injustice sociale, inadmissible pour le reste de la population vivant dans la pauvreté, est la voie ouverte aux révoltes récurrentes. Le "culte de la répression" de la caste au pouvoir, soutenue par les prédateurs occidentaux, ne pourra répondre aux attentes de l’ensemble de la collectivité.
5. La systématique désinformation des medias occidentaux.
Ce continent n’a connu que le Christianisme et le Libéralisme Economique. A écouter les principes défendus par les Grands Prêtres adeptes du "Choc des Civilisations", il réunissait, donc, tous les paramètres pour être, au XXI° siècle, aussi développé que l’Europe ou l’Amérique du Nord. Où sont donc les analyses, les critiques, les remises en cause de ce désastre imbibé de misères et de violences ?
Les médias ne véhiculent, dans l’arrogance et le mensonge, que les leçons de "démocratie" et de "civilisation", à l’égard des nations ou des religions ne figurant pas dans le périmètre de l’emprise de l’Occident, ou voulant s’en affranchir. Les "directeurs" de la "Rédaction" ou de "l’Information" des médias occidentaux, infatués de leurs titres et fonctions, ne sont, en fait, que des « Directeurs de la Propagande ».
Jalons d’un périple… A son terme, les paroles d’un écrivain américain, un grand, défenseur d’une authentique liberté d’expression introuvable dans les médias contemporains, se superposent aux magnifiques paysages et rencontres. Celles d’Henry Miller évoquant la colonisation du "Nouveau Monde", Amérique du nord et du sud :
« … Leur précieux nouveau monde, n’avait-il pas pour fondements l’extermination de l’innocence, le viol, le vol, la torture, la dévastation ? Les deux continents avaient été violés, spoliés, dérobés de tout ce qu’ils avaient de précieux – en fait de choses réelles. Je ne connais pas d’humain qui ait dû subir pire humiliation que Montezuma ; pas de race qui ait été balayée de la face du globe avec plus de brutalité que les Indiens d’Amérique ; pas de terre qui ait été foulée aux pieds et déchirée de façon plus sanglante et plus répugnante que ne l’a été la Californie par les chercheurs d’or. Je rougis à la pensée de nos origines – nos mains baignent dans le sang et le crime. » (3)
Amérique Latine : Miroir caché de notre barbarie…