Part 1 : “Je fanatise”, donc : “J’atomise”…
Du 2 au 4 avril 2008, va se tenir à Bucarest un sommet de l’OTAN. Un des principaux documents, servant de support aux travaux de cette réunion, est un rapport intitulé (1) :
“Towards a Grand Strategy for an Uncertain World
Renewing Transatlantic Partnership”
Il a été présenté à Washington, en grande pompe, le 10 janvier 2008, devant le Center for Strategic & International
Studies (CSIS). Un des plus puissants lobbies du genre, avec 220 permanents, auxquels s’ajoute un réseau mondial d’intervenants occasionnels.
Au CSIS, vous y rencontrez Big Business (PDG des groupes alimentaires, pharmaceutiques et pétroliers…) et Big Bang (l’industrie de l’armement).
Sans oublier leurs porte-voix et décorateurs de vitrines : les “experts” (Kissinger & Co. et autres professeurs
Nimbus…). Parcourir la composition des instances de cette organisation, donne une excellente idée de
l’idéologie dont elle est porteuse (2) …
J’ai lu ce “rapport” de 150 pages. Véritable hymne à la gloire de l’OTAN…
Il obéit aux lois du genre, celui de l’extrémisme occidental dans son bellicisme le plus fanatique. Mais, avec ce
document, le délire guerrier en arrive au stade ultime, avec une recommandation majeure : l’emploi à titre “préventif” de l’arme atomique, en dehors de tout conflit militaire, dans le cadre
de l’anticipation d’une menace.
Réduire l’incertain, d’après ces théoriciens, c’est “nucléariser” l’incertitude. Autrement dit, vitrifier, atomiser des pays et des populations, comme s’il s’agissait de recommander l’usage d’un spray
autobronzant…
Tout aussi grave : le dynamitage de nos institutions républicaines par l’édification d’une organisation
transnationale, l’OTAN en l’occurrence, outrepassant son rôle catastrophique actuel (Serbie, Kosovo, Afghanistan…), se chargeant de définir les politiques étrangères, les “menaces”, les relation
internationales.
Proclamant un abandon de la souveraineté et du contrôle opérationnel des forces armées des pays concernés, entre les mains d’un
comité de militaires de l’OTAN. Censé représenter et défendre l’Occident.
En fait, doutant de la légitimité de cette comédie rappelant le film de Chaplin “Le Dictateur”, le rapport
recommande la mainmise sur les médias, transformés en outil de propagande. Avec une conception de la liberté à géométrie variable : au-dessous de la ceinture faites et dites ce que bon vous
semble.
Ce serait cela, la “liberté”. Au-dessus de la ceinture, c’est nous qui fixons normes, règles et prêt-à-penser. Ainsi, pendant
qu’on amuserait les “gogos” avec les faux débats, une entité non élue se chargerait de décider du sort de la planète en dehors de tout contrôle démocratique…
Il y a eu peu d’échos, dans la presse officielle, de mobilisation devant l’énormité. Quelques courageux
(3), se sont insurgés, en France, pour s’émouvoir,
réagir, s’indigner ou tirer le signal d’alarme. Mais, ils n’ont pas été relayés par les principaux médias. Normal, ils sont déjà, pour la plupart, directement ou indirectement, aux mains de
l’industrie de l’armement, de leurs relais et lobbies.
Il s’agit, pourtant, d’une atteinte majeure à nos libertés, de la militarisation de nos sociétés, qui sont
planifiées dans ce document. Avec la guerre, la violence, le rapport de forces, comme seules composantes dans les relations internationales.
S’indigner. Certes. Mais, dépassons le stade émotionnel et retroussons les manches. Seul moyen de lutter, de façon
crédible, contre ce nouveau fascisme, costumé en ”Grande Stratégie”. Dans quelle boîte à outils, se dit-on, ces “fous furieux” ont-ils puisé pareilles idées ?...
Très simple.
Un bref examen, à deux niveaux, permet de décortiquer l’arnaque :
=> Celui de la manipulation, ou comment est préparée “la soupe de la désinformation”
=> Celui des objectifs de la manipulation, ou comment entériner le démantèlement de nos institutions démocratiques, au profit
de Big Business et de Big Bang.
1. L’arnaque des lobbies “néocons”
1.1.
Les “auteurs” du rapport
Ouvrons le rapport. Ce type de document, fondé sur la manipulation de l’information : c’est comme un yaourt. Vous avez l’étiquette, assurant la crédibilité. Le “label”. Vous avez le contenu
: le texte. Et, vous avez les ingrédients constituant le contenu : les sources et autres contributions.
Ici, ce sont cinq officiers généraux, dont un amiral français, qui en sont signataires. Représentant la “crédibilité”. Dans ce
genre d’exercice, peu ont le talent d’écrivain du Général de Gaulle, sa puissance d’analyse, d’anticipation et de conceptualisation. Ils ont des “nègres” ou des “porte-plumes”. Dans ce document,
on trouve, ainsi, le nom de deux rédacteurs.
En petites lettres ou avec la mention : “with…”, il ne faut jamais négliger les porte-plumes. Ce sont eux qui écrivent ou, du moins, qui agencent le "copié-collé” de ce qui doit
être véhiculé. Et, ce qui doit être véhiculé est alimenté et supervisé par des sources ou des “contributions”. Trois personnes sont citées, à ce titre, à la fin du rapport…
=> Un “quarteron” de généraux
A la lecture de ce texte, me revenait la célèbre phrase du Général de Gaulle sur le “quarteron de généraux à la retraite”, qualifiant ce groupe de militaires qui avait voulu s’emparer du
pouvoir en France, au cours d’un “putsch” organisé depuis Alger. Ils voulaient conserver “l’Algérie française”…
On retrouve dans le texte, le même niveau de prétention et d’imbécillité. La mégalomanie démultipliée par le mythe de la “mondialisation”. Affleurant dès le titre : “Towards a Grand
Strategy…”. S’emparer du pouvoir mondial, dicter sa loi au reste du monde, au mépris du droit des peuples à décider de leur destin.
Prétention, bien sûr, non pas à titre personnel, mais à celui de l’organisation et des intérêts qu’ils représentent, sous la "casquette" de l'OTAN.
Les cinq signataires, promoteurs de ce “putsch”, sont des officiers généraux à la retraite, représentant : les USA, la
Grande –Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France. Ils présentent la particularité d’avoir dirigé les armées de leur pays, en tant que Chefs d’état-major (4).
On apprend incidemment, ou nous en avons confirmation, que le Chef d’état-major de nos forces armées appartenait au club des
“néocons” internationaux. Quand on connaît le système de cooptation du milieu, on imagine que prédécesseurs ou successeurs doivent être de la même étoffe…
Toutefois, ce n’est pas le “label” de ces galonnés qui est significatif. Ils ne se sont réunis qu’une douzaine de fois, apprend-on dans le rapport (P. 149). Y prêter attention serait nous
détourner des véritables rédacteurs….
=> Les “porte-plumes”
Qui sont-ils ?... On ne vous le dit pas, à la page 149 :
Benjamin Bilski , officiellement chargé de cours
(Lecturer) de “philosophie”, à la Faculté de Droit de l’Université de Leiden (Pays-Bas). Connu pour être un antimusulman militant, soutenant la cause des islamophobes aux Pays-Bas,
tout particulièrement. Pour apprécier le niveau de cet activiste raciste, je vous invite à lire un de ses écrits publiés (5) sur le site britannique conservateur (malgré son titre) : The Social Affairs Unit…
Douglas Murray, c’est la pointure au-dessus en termes de visibilité médiatique. Sous sa “gueule d’ange”, un fanatique dont l’extrémisme n’a pas de bornes. Dirigeant à Londres, depuis avril 2007, The Centre for Social Cohesion. La “cohésion”, vue dans un angle raciste…
Car il s’agit d’une des officines du Royaume Uni, bénéficiant de “gros moyens”, parmi les plus acharnées dans le racisme
anti-arabe et antimusulman. Avec en priorité, évidemment, la diabolisation de la communauté musulmane
britannique. Toutes les initiatives, médiatiques, notamment télévisuelles, et publications, allant dans ce sens, sont méthodiquement soutenues. Je vous invite à visiter le site…
Douglas Murray est, aussi, administrateur (trustee) de l’European Freedom Fund et membre de l’Advisory Board de l’ European Institute for the Study of Contemporary
Antisemitism. Ces fondations et autres ONG, aux noms anodins et dégoulinant de bonnes intentions, gravitent dans la
mouvance, ou sous le couvert, des milieux chrétiens intégristes britanniques (il n’y a pas qu’au Texas…) représentés, en particulier, par l’ONG CIVITAS (The Institue for the Study of Civil Society).
Il est l’auteur d’un livre, publié en 2005, intitulé : “Neoconservatism : Why We Need it” (Le Néoconservatisme : Pourquoi nous en avons besoin), soutenu par tous les
médias “néocons”. Il a publié, et co-écrit avec James Brandon, via l’officine qu’il dirige, un “rapport” violemment islamophobe :
“Hate on the State : How British libraries encourage islamic extremism” (Haine contre l'Etat : Comment les bibliothèques britanniques encouragent l'extrémisme islamique) (6).
En résumé, les “rédacteurs” du rapport sont les parfaits représentants, en Occident, du fanatisme raciste anti-arabe, de la
haine islamophobe, de l’intégrisme
néoconservateur, et de l’extrémisme sioniste.
=> Les sources et autres contributeurs
Le rapport ne comporte aucune annexe. A la page 150, les rédacteurs reconnaissent benoîtement que leurs principales sources sont les publications du lobby International Institute for
Strategic Studies, auxquels ils collaborent tous. Le clonage intellectuel dans sa plus belle manifestation !...
Lobby dans lequel on retrouve, rappelons-le, nos Gaston La Gaffe, membres de la commission chargée de rédiger le Livre Blanc de la Défense Nationale “française” : François Heisbourg, Thérèse Delpech et Olivier Debouzy, notamment. La
boucle est bouclée…
Relevons les remerciements des auteurs à l’égard de trois personnes, pour leurs “avis”. Il est intéressant de les situer :
Sir Mark Allen , cet ancien “diplomate” britannique a passé
l’essentiel de sa carrière au Moyen Orient. A l’abri d’une approche se voulant bienveillante à l’égard des arabes et du monde musulman, il soutient les idées fossilisées de la diplomatie
britannique remontant aux années Lawrence d’Arabie. Du genre : les arabes sont des bédouins, vivant dans des structures claniques ou tribales, qui ont leurs mérites, mais qui les rend
incapables de passer à une organisation étatique ou moderne d’un niveau supérieur…
Dans la lignée de ces “experts” britanniques qui, au lendemain de la première guerre mondiale, ont “importé” la famille Hachémite de la Mecque, chassée par les Saoud, pour établir les frères
comme monarques de l’Irak, de la Syrie, de la Jordanie. Pays, dont ils avaient fixé les frontières à leur convenance, à la chute de l’Empire Ottoman. Et, taillé des émirats en fonction des
bassins pétroliers et gaziers, pour se les répartir avec les USA.
La France, à l’époque, ne s’intéressait pas encore au pétrole, préférant tirer au canon en Syrie, sous les ordres du général
Gouraud, sur la population civile de Damas, pour arracher la province du Liban à ce pays.
Un article (7)
rédigé par cet ancien “diplomate”, Why Iraquis must learn to be selfless, donne un excellent aperçu de cet
« orientalisme » de pacotille, imbibé de racisme. Il est, à présent, “conseiller” du géant pétrolier BP (British Petroleum)…
Edwina Moreton , spécialiste de l’ancien bloc soviétique, est une journaliste de l’hebdomadaire britannique The Economist où elle est spécialisée
dans les affaires internationales. Elle contribue à véhiculer les objectifs de la ligne éditoriale de cet hebdomadaire conservateur, lié au monde financier, qui fait de la Chine et de la Russie
ses “bêtes noires” : ils ne veulent pas se laisser piller. Quelle idée !... Précisons qu’elle collabore, au lobby The International Institute for Strategic
Studies.
Brent Scowcroft, à 83 ans, est une institution à lui seul du monde des “néocons”. Il a co-écrit, avec Bush I, un livre intitulé : “A World
Transformed”. Ancien pilote et général de l’armée de l’air, il a servi plusieurs présidents en tant que conseiller militaire ou des services de renseignements : Ford, Nixon, Bush I et
II. Il préside plusieurs lobbies et on le retrouve associé dans le cabinet de Kissinger, avec qui il a longtemps travaillé. Il figure, bien entendu, comme administrateur (trustee) du
CSIS qui a présidé au lancement international de ce rapport…
1.2. Le financement du rapport : la “Noaber Foundation”
Le rapport a été rendu possible par le généreux financement de la Noaber
Foundation : “… many thanks … generous sponsorship…” (p. 150). Je dirai, plus précisément, que son financement a été “logé”
chez la “Noaber Foundation”. N’ayant aucune foi en la génération spontanée de la générosité, dans ce genre de “manip”. Quelle est cette Fondation si généreuse, au point de financer les
hautes réflexions d’un quarteron de généraux ?...
=> La Fondation et son créateur
Cette Fondation a son siège aux Pays-Bas et a été initiée par Paul Baan. Connu du monde des affaires pour avoir créé, avec son frère, une des plus belles "success stories" de l’industrie
du logiciel. Faisant, un moment, jeu égal avec l’allemand SAP, dans le segment des logiciels intégrés de gestion. Toutefois, cela s’est mal terminé. Incapables d’en maîtriser et organiser la
croissance, cette société s’est retrouvée quasiment en faillite.
Les créateurs auraient réussi, apparemment, à sauver leurs billes, avant l’écrasement de la valeur boursière de leur entreprise, évitant les pertes impressionnantes des autres actionnaires qui
avaient investis dans l’achat de ses actions. L’hebdomadaire américain, BusinessWeek, a raconté cette descente en vrille, dans un
article du 14 août 2000 (8).
En tous cas, Paul Baan bénéficie d’un impressionnant pactole. Connu pour appartenir à la branche fondamentaliste de l’église protestante hollandaise, Dutch Reformed Church, il
finance fondations et activités caritatives, dont la plus connue est la Noaber Foundation. Toutes ont pour vocation la promotion de la démocratie, des valeurs sociales, et de la foi. Le
monde est un village, nous rappelle la Noaber Foundation. Admirable…
Ce qui explique l’orientation religieuse que doivent recouvrir les activités financées par la Fondation :
“Finally, it is important that the content and working methods should fit within the Christian values that drive us”, est-il dit dans la présentation de la Fondation.
Je traduis :
“Enfin, il est important que le contenu et les méthodes de travail soient en conformité avec les valeurs chrétiennes qui nous déterminent ”.
Je n’ai toujours pas compris le rapport entre financer des activités selon des critères de “valeurs chrétiennes”, et financer
des élucubrations signées par un quarteron de généraux… Il est vrai que, parfois, les mystères de la foi sont impénétrables…
=> Dirigeants et animateurs de la fondation
Jetons un œil sur l’ Advisory Board...
Le président, tout d’abord. Oh ! Surprise : c’est l’ancien chef d’Etat-major des armées des Pays-Bas, le général Henk van den Breemen. Figurant parmi les signataires du rapport… Admirons au passage, la souplesse d’échine en matière de déontologie :
le président d’un comité de gestion d’une association caritative (charity foundation) s’octroie, à lui-même et à ses copains, le financement d’une “étude”…
Autre surprise... Dans ce même cénacle, en tant que Special Advisor, on trouve le nom de Uzi de Haan, ancien directeur de
Philips Electronics en Israël… Tiens, donc !... Voilà les doigts, pris dans le pot de confiture, du lobby de l’armement. Israël étant un des trois premiers centres mondiaux de
production d’électronique militaire.
Encore plus délicieux : la seule représentation permanente à l’étranger de cette Fondation, à vocation universelle, est assurée par Cécile Blilious. Et, devinez où se trouve l’unique représentation à l’étranger de cette honorable Fondation ?...
En Israël…
N’en rajoutons plus…
Suite dans un prochain post :
2. De l’Idéologie coloniale à la Paranoïa guerrière : la fin de l’utopie démocratique
(1) Rapport téléchargeable sur le site du CSIS => http://www.csis.org/component/option,com_csis_events/task,view/id,1468/
(2) On y retrouve, entre autres : le groupe Carlyle, Coca Cola, Exxon Mobil, Morgan Stanley, Lehman Brothers, etc.
(3) Notamment :
=> Le 17 janvier 2008 : Réseau Voltaire – Un directoire USA-OTAN-UE à la place du Conseil de Sécurité ?
=> Le 12 février 2008 : Claude Nicolet – Secrétaire National du MRC aux
Relations Internationales – La tentation de créer un Empire Occidental à vocation éventuellement exterminatrice.
=> Le 27 février 2008 : Pascal Boniface – Les cinq héritiers du docteur Folamour.
(4) Les généraux : John Shalikashvili (USA), Lord Inge (UK), Klaus Naumann (RFA), Henk van den Breemen (Pays-Bas).Et, l’amiral français : Jacques Lanxade.
(5) Bilski, Benjamin, Afshin Ellian : An Iranian dissident offers a brave response from Holland to the murder of Theo van Gogh, 12 novembre 2005, http://www.socialaffairsunit.org.uk/blog/archives/000644.php
(6) Téléchargeable à partir du site : http://www.socialcohesion.co.uk
(7) Allen, Mark, Why Iraquis must learn to be selfless, Telegraph.co.uk, 18 avril 2006.
(8) Baker, Stephen, et al., The Fall of Baan - How ineffective management and bad luck brought down the Dutch software superstar, BusinessWeek – International Edition, 14
août 2000.
Photo : Explosion de la bombe atomique sur Hiroshima , 6 août 1945, 8h 58…