Suite de l'article Récession (1) :
=> 1. Les caisses sont vides
=> 2. C’est la faute aux pauvres
3. Le système bancaire français est excellent
J’ai toujours été amusé par les commentaires d’autosatisfaction mégalomaniaque sur le système bancaire français : “le plus sûr du monde”, “le mieux régulé”, “le plus sain”, etc. En bref : excellent.
En fait, le connaissant de l’intérieur, il s’agit du secteur d’activité le plus “vermoulu”, pour rester poli, du pays. Celui qui a coûté et coûte le plus cher à la collectivité. Il faut espérer qu’un jour une équipe d’économistes chiffre le cumul des "ardoises" épongées par les contribuables, ne serait-ce que depuis le dernier demi-siècle. Dans une thèse de doctorat ou un travail de recherches sponsorisé par un mécène. La censure du monde de l’édition empêchera, en effet, tout travail d’investigation en ce domaine. Ne parlons pas des médias de la propagande…
L’Etat, la collectivité, ont sans cesse été mis à contribution pour redresser les catastrophes à répétition d’un milieu professionnel aussi incompétent que malhonnête. Tout particulièrement, depuis la fin des années 80. L’opacité entretenue est, évidemment, totale. Si les contribuables “savaient”, ils se précipiteraient, probablement, en masse dans les sièges parisiens des banques pour faire tomber quelques têtes, ou au ministère des finances pour ne pas les avoir faites tomber. Découvrant, au passage, l’arnaque du chiffon rouge du “trou de la Sécu” agité en permanence sous leurs nez.
Prenons soin de faire la différence, dans l’analyse, entre le personnel d’exécution et d’encadrement, irréprochable quant à la qualité de son travail, le niveau de son éthique, et les directions générales des établissements financiers. Car, là où rien de va plus, c’est au niveau des directions générales de ces établissements.
A toute une génération de banquiers et de “grands commis”, forgée dans la reconstruction de la France et de l’Europe de l’après-guerre, a succédé une autre, loin de lui arriver à la cheville en termes de valeurs et de rigueur professionnelle. L’un d’eux, parmi ceux qui ont assuré, géré la fabuleuse croissance des “trente glorieuses”, à la question sur la qualité première d’un “grand banquier”, répondait : “Le bon sens…”.
Le “bon sens” a cédé la place au “non sens”… Cette évolution se retrouve dans tous les pays occidentaux, y compris au Japon, avec des nuances liées aux contextes culturels et aux mécanismes de cooptation des “élites”.
Dans cette génération des années “post 60”, de jeunes loups, sortant pour la plupart de l’inspection des finances, confondant l’épaisseur de leur carnet d’adresses avec celle de leur expérience après avoir transité par des cabinets ministériels. Considérant les signes ostentatoires affichés avec condescendance, à commencer par l’inévitable cigare, comme étant le rayonnement de leur génie, à défaut de compétence. Après un bref “tour de piste” dans des directions opérationnelles, et un passage au poste de directeurs généraux adjoints, se retrouvaient propulsés à la tête d’établissements financiers.
De toute façon, il ne leur était demandé que d’être des “facilitateurs”, de “faire avancer des dossiers”. Le plus souvent, camouflés sous ces appellations, il ne s’agissait, ni plus ni moins, que de rustiques passe-droits pour de grandes entreprises ou des particuliers (8). Assurant la liaison entre pouvoir politique et “milieux des affaires” ou Big Business. Devenant même, pour certains, des “hommes de paille” prospères et richissimes, couvrant, abritant, gérant le patrimoine de quelques politiciens de profession, si ce n’est de convictions.
Progressivement, avec la montée en puissance des multinationales et de la mondialisation, une grande partie de la haute fonction publique, liée à la gestion des équilibres financiers du pays et aux commandes des établissements bancaires, s’est trouvée gangrenée par l’affairisme. Copinage et osmose…
Ils ont promu, encouragé toutes les "bulles" et investissements spéculatifs, les plus fantasques. Dans la vogue et la mode des fusions-acquisitions. Tout ce qui promettait, assurait profits rapides et bonus fulgurants, pour leur réseau, et bien sûr, pour eux-mêmes. Pas simplement immobilier : qui se souvient de la “bulle internet”, des valeurs “nouvelles technologies”, et autres miroirs aux alouettes ?... Frénésie accrue, avec le développement exponentiel des nouveaux instruments et produits financiers. Partageant souvent les pires comportements irresponsables du secteur, alors qu’ils étaient censés contribuer à sa bonne gestion…
3.1. Le cimetière des catastrophes bancaires
La liste des banques, qu’ils ont dirigées ou contrôlées, mortes au champ du déshonneur de l’incompétence et de la gabegie, à partir des années 90, est impressionnante. C’était hier. Dans la plus grande discrétion médiatique et une totale impunité des responsables.
Retenons les plus connues : Crédit Foncier de France (CFF/1995-1998), Comptoir des Entrepreneurs (CDE) (9), Banque Worms, Pallas Stern (1995), Banque de Paris et des Pays-Bas transformée en Paribas avant d’être absorbée par BNP en 2001. Dans un environnement différent, la Banque de la Martinique, reprise par le groupe des Banques Populaires…
Sans oublier un des plus grands scandales financiers de l’histoire bancaire, de niveau international par l’ampleur des sommes en jeu : le Crédit Lyonnais. Dont, on n’a jamais pu obtenir un chiffrage sérieux, c’était avant l’introduction de l’Euro : FF 200 milliards, FF 700 milliards, FF 1.000 milliards, plus ?... Les gymnastiques et contorsions comptables, fiscales, sont sans limites absorbant en des “trous noirs” galactiques tout ce qu’il est souhaitable de voir disparaître.
D’autant plus que les archives avaient brûlé, dans l’incendie du siège social, à Paris. Notamment celles de la salle des marchés. Et, tout aussi bizarrement, les archives entreposées au Havre dans un centre spécialisé, sous haute sécurité, avaient brûlé aussi. Ah ! La loi des séries touchant les incendies d’archives !... Signe du destin, probablement, que les pertes n’étaient pas pour tout le monde.
Crédit Lyonnais, établissement anéanti par son activité de “banque d’investissements”… La banque commerciale ou de détail (retail banking) étant parfaitement saine. Il n’a dû sa survie que grâce à son absorption par le groupe Crédit Agricole. Naufrage dont la collectivité n’a pas encore fini de payer, ni de subir les conséquences.
Car, au-delà des fonds versés pour apurer les engagements directs pour lesquels la banque se révélait défaillante, les contribuables continuent de payer, à ce jour, le nettoyage de son bilan via les “structures de défaisances”.
Rappelons un point de technique juridico-financière. Pour améliorer la présentation d’un bilan avant sa reprise par un acquéreur, les valeurs, filiales ou prises de participation “pourries” sont sorties du bilan et logées dans des structures comptables à part : les fameuses, ou fumeuses, “structures de défaisances”. Terme qui se veut l’adaptation d’une pratique juridique et financière de nettoyage ou de toilettage des bilans, venue des USA, la : defeasance.
La Cour des Comptes dans son rapport 2007 (10), avait estimé dans la partie intitulée “Bilan de la gestion des défaisances” que l’ardoise à payer par l’Etat, et donc par le contribuable, s’élèverait à 21 milliard d’euros. S'étonnant d’irrégularités permanentes dans la gestion de ces structures gérées par l’Etat. Malgré les circonvolutions du style qui se veut plus que prudent, la timide Cour des Comptes, sans aucun pouvoir de sanction, a trouvé le courage d’écrire :
“… Dans un rapport public particulier publié en décembre 2000 et intitulé « L’intervention de l’Etat dans la crise du secteur financier » et dans une insertion au rapport public de janvier 2002, la Cour avait cherché à apprécier les conditions dans lesquelles l’Etat avait apporté son concours financier au Crédit lyonnais, au Crédit foncier de France (CFF), au Comptoir de Entrepreneurs (CDE) et au Groupe des Assurances Nationales (GAN) et avait géré les structures de défaisance mises en place pour accueillir des actifs compromis du fait de gestions financières imprudentes.
…
… Il ressort des vérifications opérées que les dispositifs complexes et déresponsabilisants, déjà identifiés par la Cour, ont été maintenus. La gestion des défaisances, rendues difficile par la nature des actifs à liquider, l’ampleur des contentieux et l’imprudence des garanties accordées, a, en outre, été perturbées par la situation particulière de structures confrontées à leur propre disparition.”
En clair, la gestion des “défaisances” est, dans l’opacité totale, un énorme aquarium à requins. Malgré les remontrances de la Cour, les irrégularités constatées à plusieurs reprises ont été poursuivies. Pendant 7 ans…
Ce que la Cour des Comptes ne dit pas, c’est que cette gestion des “défaisances” est à l’origine de quelques unes des plus grandes fortunes de France. Colossales. Parmi les premières du monde. Récentes et rapides. Fondées sur aucune création de produit ou de services de génie. Aucun Apple, Microsoft ou Google. Non, uniquement sur la reprise d’entreprises, souvent prestigieuses avec des marques de notoriété internationale. Notamment, à partir des “structures de défaisance” gérées par l’Etat, et tout particulièrement celles relevant de la faillite du Crédit Lyonnais…
Ces structures de transit regroupent effectivement des actifs douteux ou délabrés, mais la tentation étant trop forte, des petits malins en ont fait des “taxis” pour s’échanger en douce des valeurs ou faire d’excellents coups. Achetant à prix cassés, ce qui se révèle être par la suite, par on ne sait quel miracle, d’authentiques “pépites”. Gageons, les paradis fiscaux assurant l’étanchéité des noms et autres coordonnées, que les fortunes, construites ou démultipliées de la sorte, renvoient l’ascenseur, sous une forme ou une autre.
Ainsi, non seulement, des fortunes colossales se sont bâties à partir de ces naufrages, mais en plus la collectivité, les contribuables, doivent payer 21 milliards d’euros, d’après l’estimation “provisoire” de la Cour des Comptes. Soit l’équivalent de 2 fois le “trou de la Sécu” pour assurer le nettoyage du bilan. Après avoir déjà réglé plusieurs milliards pour en payer les dettes accumulées !...
Dans le cas du Crédit Lyonnais, comme par hasard, aucune Commission parlementaire n’a investi du temps, ni des moyens pour enquêter sur ce curieux phénomène des vases communicants. La seule préoccupation des parlementaires, dans une approche infantile et démagogique : “faire la fête à Tapie” (11). Autre chiffon rouge, bouc émissaire du monde politique et médiatique : se donner bonne conscience pour 2 kopeks. Ça ne coûte pas cher, et auprès d’une opinion publique désinformée, ça peut rapporter gros. Ne serait-ce qu’en dissimulant le cœur du problème…
Car aucun parlementaire (j’ai suivi les dernières auditions de la Commission des Finances du mois de septembre 2008) ne s’est demandé pourquoi le Crédit Lyonnais, après avoir étranglé financièrement et forcé Tapie à vendre la société Adidas 2 milliards FF à une structure propre à la banque domiciliée dans un paradis fiscal, l’avait aussitôt revendue au groupe Dreyfus (le géant du sucre…) plus du double. Aucun ne s’est, et a, posé trois questions annexes :
i) Où est allée la différence ?
ii) Pourquoi avoir logé Adidas dans une “structure de défaisances”, alors que cette société, loin d’être “pourrie”, était très recherchée (Nike, Reebok, etc.), valait plus que le double de l’évaluation de la banque, et probablement plus que le prix payé par l’acheteur choisi par la banque, en dehors de toute consultation internationale ?
iii) Si cette entourloupe a été effectuée pour Adidas, quelles sont les autres sociétés “pépites” sorties à tort du bilan de la Banque, bradées à prix cassés, au détriment de la collectivité et du contribuable, et quels en ont été les “profiteurs” ?...
Suite:
Récession (3) : Les Tares du Système
Bancaire - Le Virus IPRIS...
Récession (4) : L’Etat au service du Lobby Bancaire...
11. Cf. l’audition du mercredi 10 septembre 2008 de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale sur le Crédit Lyonnais - CDR : http://www.lcpan.fr/emission/62314/video
12. Curieux de voir certains responsables politiques, comme Sarkozy dans un de ses derniers discours, découvrir la faillite bancaire avec Lehman Brothers…
Photo : siège social parisien du Crédit Lyonnais - LCL