Ne pas se vouloir Cassandre. Bien sûr. Je voudrais bien participer à la célébration de la victoire électorale d'Obama. Mais, je n'y arrive pas.
Des proches m'ont pressé de donner mon sentiment sur ce blog, après le scepticisme affiché dans un précédent post sur l'élection américaine. Me demandant si de Grincheux, de la sympathique bande des 7 nains entourant affectueusement Blanche Neige, je ne me serais pas transformé en Joyeux... Pour me joindre à la fête.
Disons que je me refuse à jouer le rôle de Simplet. Je ne crois pas qu'Obama soit le prince charmant en mesure de réveiller une Amérique, Belle Endormie des contes de fées...
Saint Thomas
Evidemment, je ne peux que partager la joie de la communauté noire américaine, heureuse de se voir reconnue dans cette élection. Méprisée, meurtrie, terrorisée, par des décennies de racisme, d'apartheid, elle vit cet évènement comme un basculement dans une ère nouvelle. Quand on pense que les dernières lois d'apartheid n'ont pu être définitivement supprimées qu'en 1964 et 1965 (1) !... Un siècle après la guerre de Sécession, vingt ans après la dernière guerre mondiale...
Et, celle de tous les gens de couleur qui composent les USA. Je pense aux latinos, provenant essentiellement du Mexique, de Cuba ou de Porto Rico. Victimes du racisme quotidien, j'en ai été témoin au cours de mes séjours, comme les afro-américains. Ce qui n'empêche pas la diplomatie américaine de donner des leçons de "démocratie" au reste du monde.
A présent, les médias nous vendent l'élection d'un homme politique comme s'il était Martin Luther King, l'Abbé Pierre ou le Messie. Ce matraquage de clichés dithyrambiques à la gloire de la "démocratie" américaine, et de portraits sirupeux sur son nouveau président, rend cette théâtralisation suspecte.
Je ne mets pas en doute les qualités et les talents d'Obama : remarquable orateur, tribun charismatique, jouant à merveille sur les émotions. Animateur de campagne électorale infatigable, sachant tenir un auditoire pendant une heure sans parler de son programme. Un "pro" de la politique, exceptionnellement doué.
Ni son honnêteté.
Toutefois, je suis comme Saint Thomas affirmant qu'il ne croirait en la Résurrection de Jésus qu'à la condition de mettre ses mains sur les cicatrices de son martyre. Beaucoup plus humblement, mon test d'honnêteté est extrêmement simple : le dossier nucléaire Iranien. Ce sera le révélateur.
Si Obama propose la suppression de toutes les armes nucléaires au Moyen Orient, y compris la suppression de l'arsenal nucléaire d'Israël (qui n'a jamais signé le traité international de non prolifération), ainsi que le retrait de tous les engins nucléaires qui encombrent le Golfe Persique et la Mer d'Oman (porte-avions et sous-marins...), avec en contrepartie la garantie internationale de la sécurité de tous : je serais pleinement convaincu de son honnêteté. Dans le cas contraire, il se dévoilera filou politique comme les autres présidents, porteur d'une pensée coloniale et d'une volonté impériale.
Obama : le "changement", la "rupture", ne cesse-t-on de nous corner dans les oreilles... Je n'y crois pas. On mesure actuellement ce que cette rhétorique, employée jusqu'à la transe lors de la dernière élection présidentielle en France, donne dans la réalité... Ce doute, ne porte pas sur l'homme, à qui je souhaite les meilleures chances, mais sur le système politique en lui-même. L'homme le plus déterminé, le plus idéaliste, ne pourra rien changer si le système politique et sa vocation ultime n'évoluent pas.
Chacun pour soi et Dieu pour tous
Rappelons que les "pères fondateurs" des USA étaient avant tout des milliardaires de l'époque, de grands propriétaire fonciers, possédant d'immenses plantations sur lesquelles étaient exploités de nombreux esclaves. Qui ont su fédérer, et manipuler, autour de leurs intérêts, des propriétaires plus petits et une bourgeoisie naissante qui s'enrichissait à grande vitesse.
A l'exemple de George Washington, Thomas Jefferson (2) qui a contribué à la rédaction de la Constitution de cette nouvelle nation, avant d'en devenir le troisième président, détenait les plus belles plantations de Virginie. Considérant ses esclaves comme un cheptel précieux, soucieux de la qualité de sa reproduction
Par les facéties du hasard, il devint profondément amoureux d'une de ses esclaves, qu'il affranchira, Sally Hemings. Il en eu plusieurs enfants. Tout en le dissimulant et affichant des convictions racistes. Ses propos sont célèbres, dont le plus connu :
"Le métissage de blancs et de noirs produit un avilissement que tous ceux qui aiment leur pays, tous ceux qui oeuvrent pour la perfection de la nature humaine, ne peuvent innocemment admettre." (3)
En fait, les USA sont nés de la volonté d'une ploutocratie de s'affranchir des contraintes fiscales liant cette colonie britannique à la couronne d'Angleterre. C'est, pour cette caste, de "liberté fiscale" dont il s'agissait, "d'obsession fiscale" pourrait-on insister. Cette obsession qui imprègne l'inconscient collectif des partis Démocrate et Républicain, de la nomenklatura au pouvoir : "les impôts". Impôts fédéraux, locaux : l'épouvantail. Le : Tout pour moi, rien pour les autres. Trouvant sa rationalité dans les théories économiques du Libéralisme. Même les œuvres caritatives sont un Business : le Charity Business des plus riches, pour flatter leur "image".
Le gouvernement du roi d'Angleterre de l'époque, George III (4), aurait-il connu les astuces du "paquet fiscal" en faveur de cette richissime oligarchie, que la face du monde en eut été changée...
Mais voilà, l'indépendance fut acquise sur de belles déclarations, car massacres génocidaires d'indiens et développement de l'esclavage étaient implacablement programmés, appliqués. Se déclarer indépendants pour des impôts ?... Cela fait "cheap", minable.
Alors, on sort les grands principes, pour la vitrine. Joints à la force, cela permet, au-delà de l'acte d'indépendance, d'imposer et justifier ce qu'on veut : pillages et asservissements de nations étrangères à l'extérieur, et, à l'intérieur du pays, maintien de privilèges exorbitants au profit d'une minorité monopolisant les leviers du pouvoir.
La liberté se résumait en fait à : Chacun pour soi et Dieu pour tous. Ce qui, venant d'une Europe ployant sous la misère, les guerres incessantes, l'intolérance religieuse et les régimes monarchiques les plus férocement décadents, n'empêchait pas les émigrants d'affluer. Au contraire, l'émigration blanche étant encouragée. Pour les damnés d'Europe, les USA représentaient le pays de cocagne.
Soyons réalistes : un système politique mis au point par une ploutocratie ne peut générer un quelconque changement allant à l'encontre de ses intérêts. Du discours à la réalité, il y a un univers. Sacrifier, lâcher du lest à l'évolution des mœurs initiée et mise en scène par les médias, peut-être. Mais, prétendre à la redistribution de la richesse nationale, c'est exclu.
Dans un système politique où la cooptation est fondamentale, contrairement à ce que la propagande veut nous faire gober, n'importe qui ne peut pas se présenter à l'élection présidentielle américaine. A commencer par être le candidat aux élections "primaires" d'un des principaux partis. Alors, le bla-bla-bla (5) : "... il s'est construit seul, il ne doit rien à personne...". A d'autres.
N'importe qui ne peut pas se permettre de réunir sur son nom les deux tiers du plus colossal budget électoral que le monde ait connu jusqu'ici : un milliard de dollars. Il a fallu au préalable que les bailleurs de fonds s'assurent, via les rouages adéquats, que tout était bien en ordre dans la maison.
Autrement dit, qu'on ne casserait pas la porcelaine de grand-mère. Les grands principes ploutocratiques socles des partis fondateurs des USA : "toujours plus pour les plus riches, toujours moins pour les moins riches". Dans cette idéologie, si on est pauvre c'est qu'on l'a mérité : soit par la volonté divine si l'on est évangéliste, soit par la loi de la sélection naturelle, si l'on est darwiniste ou spenglerien...
Window Dressing
Un à un, les grands journaux économiques, ou du monde des affaires, se sont ralliés à la candidature Obama. A commencer par le Vatican de l'Ultralibéralisme ou du Libéralisme sauvage, l'hebdomadaire britannique de la City à l'influence internationale : The Economist.
Le message était clair pour qui voulait bien le lire : sur le plan économique et social, tout serait encadré. Le dogme Libéral allait être préservé : pas question de financer du social avec des impôts. Pas question de redistribuer la richesse nationale. Lutter contre la pauvreté, améliorer les services de santé, l'éducation, les retraites ?... Vous n'y pensez pas !... A la limite, juste de quoi anesthésier le peuple. Pour une poignée de dollars...
Obama, homme de paix, de dialogue, de réconciliation ?...
En politique étrangère, Obama a donné tous les gages, a prêté allégeance, à tous les lobbies "ziocons". N'hésitant pas à aller au-delà de ce qu'il lui était demandé. N'a-t-il pas déclaré que Jérusalem, en dépit des multiples dispositions de l'ONU, devrait être la capitale d'Israël ?... Mais, ne dit-on pas que pour se faire élire et une fois élu, le nouveau président des USA doit se montrer encore plus "ziocons" que le précédent ?... La tradition est respectée.
Multipliant les déclarations bellicistes en petits comités, devant les lobbies concernés, reprenant à son compte les pires délires des "ziocons" : menaces contre l'Iran, effort de guerre prioritaire contre le Pakistan, au nom de la lutte antiterroriste. Car, de fait, c'est l'éclatement du Pakistan et de l'Iran, en provinces autonomes, qui est visé, depuis longtemps, comme pour l'Irak. Diviser pour régner...
Nouveau signal fort : le ralliement de Colin Powell à la candidature d'Obama. Le lobby militaro-industriel délivrait ainsi son cachet d'approbation. La nouvelle doctrine impériale allait se mettre en place. Faire porter le poids des guerres coloniales de l'Empire à ses alliés, ou ses auxiliaires, humainement et financièrement. Logique : à partir du moment où ils en profitent, ils doivent payer eux aussi. Sous la direction de l'OTAN, courroie de transmission du Pentagone.
D'ailleurs, ne fait-on pas savoir que l'actuel ministre de la défense, le républicain Robert Gates, serait confirmé à son poste, que des républicains seraient associés au gouvernement ?... Dans le staff annoncé, figurent déjà quelques uns des gros poissons de l'ère Clinton (6).
On prend les mêmes et on recommence...
Clinton, comme je le rappelais dans un commentaire de ce blog, n'a pas hésité à lancer des missiles de croisière sur Khartoum, au Soudan, pour raser une des rares usines de produits pharmaceutiques du continent africain. Sous le prétexte qu'elle produisait des armes de destruction chimique. Tout le monde savait que c'était faux. Elle ne produisait que des médicaments génériques. Indépendante des grands groupes pharmaceutiques, c'était inacceptable. C'est sous sa présidence qu'ont été minutieusement préparés les plans de destruction de l'Irak, et l'envahissement de l'Afghanistan, bien avant le 11/9, dans l'attente du premier prétexte.
Quant à comparer Obama, au "démocrate" Kennedy, lui, qui a plongé son pays dans la guerre du Vietnam et ordonné la désastreuse expédition de débarquement de la Baie des Cochons, à Cuba, pour renverser Castro, ne cessant de réclamer son assassinat... Belle comparaison.
Les médias nous prennent pour des canards sauvages...
Quant à la question du racisme... Je m'en tiens à la sagesse de mes amis "black". Rien n'est plus terrible, disent-ils, que le "noir dehors - blanc dedans". Celui qui pour justifier de son "intégration" en rajoute dans la posture la plus coloniale ou impériale du "blanc". Nous en avons quelques spécimens dans nos partis politiques en France.
Colin Powell ou Condolezza Rice étaient "black", occupant les plus hauts postes du gouvernement Bush : l'un ministre de la défense, l'autre ministre des affaires étrangères. Powell na pas hésité à mentir pour anéantir l'Irak, brandissant des photos truquées (7) et des échantillons "bidons" pour faire croire à l'existence d'armes chimiques de destruction massive. Condolezza Rice, s'est distinguée comme une des "ziocons" les plus fanatiques de l'équipe Bush, n'hésitant pas à reprendre à son compte les slogans les plus islamophobes. Rien à envier à la sinistre Madeleine Albright, qui figure dans l'équipe de conseillers d'Hillary Clinton.
Le cœur a-t-il une couleur ? Est-il blanc, noir, rouge, jaune, vert ou bleu ?... Il n'est constitué que des valeurs auxquelles on croit : la primauté de la dignité humaine, de la justice, de la liberté, de la solidarité, de la compassion... Si on croit que le destin de l'humanité a un sens.
Paradoxalement, c'est sur le plan du racisme qu'Obama ne m'a pas paru crédible. Il n'est pas "descendant d'esclave", tient à préciser le chroniqueur (8), soulevant par cette remarque un coin du voile de l'arnaque médiatique. Il ne faut pas mélanger les torchons avec les serviettes. N'est-ce-pas ?... On n'a d'ailleurs jamais vu une photo, ni entendu parler de son père pendant la campagne. Vaguement, qu'il était kenyan. Signature d'une communication parfaitement maîtrisée.
A chaque fois qu'il était "accusé" d'être musulman ou arabe, Obama n'a cessé d'aller de dénégation, en déclaration de "pureté américaine". Le tribun, sûr de lui, devenant soudain tétanisé. Au lieu de contre-attaquer, de fustiger l'Amérique raciste, de s'en démarquer. Lui, chrétien se disant "pratiquant", au lieu de dénoncer l'hypocrisie de ceux qui oublient l'enseignement de Jésus : Aime ton prochain. Rappeler que plus de quatre millions d'américains sont musulmans, méritant le respect. Subitement, tortillant des pieds et des mains... Pathétique.
Obama, élu pour la "rupture", le "changement" ?...
Non, au risque de me répéter, il a été élu pour une opération de window dressing. Habillage de vitrine, pour rétablir l'image des USA dans l'opinion internationale. Pure opération de communication et de désinformation. Comme on lance un nouveau dentifrice ou une nouvelle savonnette. Pour camoufler, ce qui va continuer comme avant. Si ce n'est pire qu'avant...
Certains ne le dissimulent même pas : fiers de l'astuce marketing. Tout juste s'ils ne se congratulent pas entre eux, de cette trouvaille de génie. Avec de grandes claques sur l'épaule. Comme nous le rapporte stupidement le chroniqueur, du journal Le Monde :
« "Obama va régénérer la marque Amérique comme Jean Paul II a relevé la marque papauté", note avec esprit le commentateur Andrew Sullivan.» (9).
"... Note avec esprit...". A pleurer de rire. Comme toujours, devant autant de bêtise.
Je l'avoue quand même...
J'aurais bien aimé que le premier président "non blanc" aux USA, même pour une opération de window dressing, soit "indien". Avant d'être un Black, qu'il soit un descendant des premiers occupants de cette terre américaine sur laquelle déferla cette immigration, volontaire ou forcée, qui a donné la composition actuelle de son peuple.
Oui. Que ce soit un Red Skin, un Peau-rouge, issu d'une de ces multiples communautés massacrées, les survivants enfermés dans ces goulags qu'on appelait "réserves", bien souvent dans la famine : Séminole, Cherokee, Navajo, Sioux, Apache, Comanche ... Reconnaître le génocide indien, et tourner une des pages les plus sanglantes de la "civilisation occidentale", de l'Histoire humaine
Ce sera, peut-être, pour la prochaine fois...
Finalement, j'aimerais tant croire aux contes de fées !...
(1) => 1964 : Loi des droits civiques (Civil Rights Act)
=> 1965 : Loi du droit de vote (Voting Rights Act)
(2) Tomas Jefferson (1743-1826), a été ambassadeur en France de 1785 à 1789, puis a participé au gouvernement de George Washington (1789-1793). Il fut deux fois président des USA : 1801-1805 et 1805-1809. C'est lui qui a racheté pour un quignon de pain, à Napoléon, la Louisiane, par le Louisiana Purchase Act du 20 décembre 1803 : immenses territoires le long du Mississipi. Rien à voir avec le petit Etat actuel du sud. Il doubla ainsi la superficie des USA de l'époque. Et, certains qualifient Napoléon de "stratège"...
(3) "The amalgamation of whites with blacks produces a degradation to which no lover of his country, no lover of excellence in the human character, can innocently consent."
(4) George III (pas de s en anglais), 1738 - 1820, vécut la guerre d'indépendance des colonies américaines et les guerres napoléoniennes. Célèbre dans les annales de médecine pour les troubles mentaux récurrents dont il était affligé. D'une générosité exceptionnelle : il donnait plus de la moitié de ses revenus à des œuvres de charité. Un des très rares cas historiques d'un monarque resté profondément amoureux toute sa vie de la même femme, son épouse la reine, dont il eut 15 enfants... Il eut la chance d'être entouré d'hommes politiques remarquables, dont William Pitt (dit Le Jeune par opposition à son père).
(5) Les médias de la propagande n'ont cessé de véhiculer ce genre d'inepties. Dans le genre, voir l'article du Monde, signé d'Eric Fottorino : L'homme qu'il faut, du 5 novembre 2008, http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/11/05/l-homme-qu-il-faut-par-eric-fottorino_1115047_3232.html#ens_id=1114664
(6) En particulier : Rahm Emanuel, Richard Holbrooke (ambassadeur auprès de l'ONU/1999-2001), John Podesta, Lawrence Summers (ministre des finances/1999-2001).
(7) Je me souviens, tout particulièrement, de ces photos de camions de stations d'épuration d'eau mobiles, matériel courant des armées ou de la protection civile notamment dans les zones désertiques, présentés lors de cette fameuse séance de l'ONU comme étant des camions de fabrication d'armes chimiques... Il ne pouvait pas ne pas savoir. Un cynisme à couper le souffle.
(8) Le Monde, Eric Fottorino, Op. Cit.
(9) Le Monde, Eric Fottorino, Op. Cit.
Caricature de Steve Bell du 5 novembre 2008 (The Guardian) : l'adieu à Bush qui passe au déchiqueteur de l'Histoire... Mais, l'Histoire se souviendra-t-elle des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dont il est, avec son gouvernement, responsable ?...