La tuerie du Tanit, avec la mort de Florent Lemaçon, a provoqué une multitude de commentaires dans les médias et sur le Web.
Mourir à 28 ans, sous les yeux de sa femme et de son enfant, est plus qu’une tragédie. Son fils, pour qui il a dû éprouver plus de peur que pour lui-même… A 3 ans, souhaitons lui la résilience nécessaire au dépassement d’un traumatisme aussi dévastateur.
Quant à Florent, ses derniers instants sont les siens. Qu’il repose en Paix.
Il n’est pas mort pour rien, toutefois.
L’émotion ressentie, refoulée, exprimée, par nous, vivants, est porteuse de “sens”. Manière, au-delà de l’évènement, de nous interroger sur notre destin collectif, nos responsabilités, nos choix de vie, nos choix citoyens, et nos choix politiques aussi.
Car, il y a eu “choc” entre un choix de vie, fondé sur l’empathie à l’égard du monde et des hommes, et la froide Raison d’Etat, articulée sur un gain à long terme, quand elle se veut intelligente, ou sur la posture immédiate, quant elle confond stratégie et manipulation électorale. Imposant un modèle sociétal où les problèmes à résoudre doivent l’être dans l’épreuve de force, la répression, la violence.
Mourir, devant ou au milieu de ses proches, est le lot de beaucoup, de tout un chacun, dira-t-on. Récemment, tous les jours, du tremblement de terre au bombardement de sa maison. Cela n’en finit jamais. Tout ce que la Nature peut provoquer pour se rappeler à notre bon souvenir, et la folie de l’Homme imaginer pour assouvir sa perversité.
Beaucoup ont estimé que c’était “la faute à pas de chance” : Florent Lemaçon était là où il ne fallait pas, au moment où il ne fallait pas. “La Fatalité”. C’est leur droit de le penser. Position officielle, relayée par les médias. Sous-entendu : “on” est les meilleurs, “on” a été parfait, pas de contestation possible. Pourquoi pas ?...
D’autres, plus soucieux des deniers publics, sont allés jusqu’à s’offusquer qu’on puisse “dépenser l’argent des contribuables” pour se porter au secours d’un “aventurier écervelé”. Louable attitude, par les temps qui courent. C’est leur droit.
Certains considèrent que tout aurait dû être mis en œuvre pour ne pas mettre en danger la vie des passagers, et que cela n’a pas été fait. Par aventurisme, incurie, incompétence. Trouvant cela inadmissible. C’est leur droit, aussi.
Estimant que l’Humanité ne “progresse”, non pas dans le sens d’un illusoire progrès matériel, mais dans celui de l’harmonie d’une vie collective, que si le respect de la vie et de la dignité humaines sont prioritaires à toute autre considération.
Que “La Fatalité” sert trop souvent d’échappatoire à la bêtise, à l’irresponsabilité et à la sauvagerie. Tant est si bien que dans nos sociétés occidentales, dites “civilisées”, on en vient à admettre comme normal, au 21° siècle, les “dégâts collatéraux”, les massacres ou la torture.
Des milliers d’êtres humains sont ainsi réduits en bouillie, par “Fatalité” : “… ils n’avaient pas à voter pour X”, ou, “… ils n’avaient pas à subir la dictature de Y”, ou encore, “… ils n’avaient pas à être adeptes de la religion Z”… Tant pis pour eux. La casuistique de la bonne conscience.
Eh, bien : Non ! La “Fatalité” n’est pas une norme, surtout lorsque l’Homme l’instrumentalise par ses décisions et ses actions.
A l’occasion du désastre du Tanit, l’important n’est pas de savoir qui, de ces différents groupes d’opinion, ou courants de pensée, a raison ou tort. Mais, d’exercer notre esprit critique et de déconstruire les différentes manipulations qui nous sont imposées.
Robocop sauveur de l’Humanité
Partons du Tanit et des évidences.
Il n’était pas question de prendre d’assaut une ambassade, un Boeing ou un cargo occupés par des terroristes, de type kamikaze, bardés d’explosifs, prêts à se faire sauter avec leurs otages, défendant une cause sublimée, fanatisée ou perdue.
Il s’agissait de pirates, occupant un petit voilier familial. Pêcheurs somaliens, pour la plupart, ce qui n’exclut pas d’authentiques gangsters. Animés par le simple but de négocier un deal, désireux de faire uniquement du Business. Rien à voir avec les pirates du 16° siècle sur fond de guerres de religion et de pillages des galions d’or et d’argent espagnols, avec ses orgies de sévices et d’horreurs.
Aussi condamnables soient-ils, ces pirates et la situation n’avaient pas à être “traités” comme une entreprise terroriste. L’amalgame, en termes de méthodologie opératoire, est totalement stupide. A moins de vouloir plastronner, à bon compte, dans une opération de communication-intimidation…
A partir de ce contexte, s’énoncent des certitudes :
1. Prendre d’assaut des locaux aussi réduits qu’un petit voilier où étaient entassée une dizaine de personnes, était courir un risque élevé de carnage :
=> contrairement aux commandos, les cinq passagers (faisons abstraction des pirates en T-shirt…) n’avaient aucune protection (gilets et lunettes pare-balles, casque en kevlar, etc.) lors des échanges de tirs prévisibles dans un espace clos
=> du fait de l’espace clos, tous les tirs devaient, à l’intérieur du voilier, s’opérer quasiment à bout portant. Nous ne sommes pas au cinéma, avec le calibre 9 mm, des armes de poing utilisées dans ce genre d’opérations, une balle à bout portant dans une tête, le résultat est simple : il n’y a plus de tête…
2. Compte tenu de ces paramètres, aucun d’entre nous, ayant un tant soit peu le sens des responsabilités, n’aurait donné l’ordre de prendre d’assaut pareils locaux. A plus forte raison, si nous avions eu notre enfant ou un membre de notre famille à bord. Les bureaucrates, emplumés ou galonnés, coiffant ce type d’opérations, tout comme nous.
Jamais.
Nous aurions, ils auraient, tous, sans exception, évité une opération armée.
3. S’agissant d’une opération de Business, il suffisait de négocier une rançon. Il n’y avait de la part des pirates “aucun” autre objectif. Et, pour ceux soucieux, et comptables, des deniers publics, deux remarques :
=> une rançon peut toujours se récupérer. Une vie : impossible.
=> pour les “banquiers et financiers pirates” qui ont détruit tout un système financier et économique par leur rapacité, en s’en mettant plein les poches, sans parler de ces “multinationales pirates”, assistées de ces mêmes banquiers, responsables de milliers de délocalisations et de chômeurs, les deniers publics coulent à flot… Sans compter.
4. A ce jour, il n’y a eu aucun assaut de ce type sur des navires à haute valeur marchande : cargo chargé d’armes, pétrolier, porte-conteneurs, etc. (1) Les négociations prennent le temps nécessaire, les rançons sont payées sans problème.
Aucune hésitation, par contre, pour un petit voilier avec une famille à bord. Soudain, “Nation en danger” : l’extrême urgence. A l’abordage !
Robocop entre en scène…
Fascination et fascisation
Nous sommes pétris, bombardés, asphyxiés, drogués, de ces multiples documentaires, films, livres, articles chantant louanges et exploits des “forces spéciales” et autres brigades “spéciales” : GIGN, GIPN, SWAT, SAS, SEALS, etc. Déclinés dans de multiples séries TV et jeux vidéos. Même les Douanes s’y mettent…
Des centaines d’heures toutes les semaines. Des milliers d’heures par mois. Des millions d’heures par an. L’inconscient collectif est formaté dès l’enfance, cerveau lavé, relavé, délavé, par la représentation du preux chevalier, héros sans peur et sans reproche. Représentant le Bien, luttant contre le Mal. Chargé de résoudre tous les problèmes de la société, résumés à des problèmes de sécurité ou de délinquance.
Harold Pinter n’a cessé de lutter, dans son œuvre et sa vie, contre cette pensée moyenâgeuse, cette fascination mortifère nourrissant un régime fascisant, un régime policier qui ne dit pas son nom. Peut-être en ai-je pris conscience avec lui, avec d’autres aussi, pour être allergique au romantisme guerrier de ces Rambo d’opérettes, qu’on tient à nous faire ingurgiter à intervalles réguliers ?
Quand je vois ces cagoulés en démonstration à Carcassonne, ou en opération à Tarnac, présentés comme les sauveurs de l’humanité, je pense immanquablement à la chanson de Francis Cabrel, La Corrida, sur ces acrobates en costume de papier…
Le mythe du surhomme, doué de toutes les capacités, doté de toutes les technologies, caparaçonné de toutes les impunités : Robocop “sauveur de l’humanité” !…
C’est nous prendre pour des grille-pain à manivelle…
Confrontée à la réalité, la “mythologie Robocop”, malgré ses milliards financés par les contribuables, a le souffle court, incapable dans le cas de la piraterie somalienne de :
=> localiser les bateaux de ces pirates, dans leurs ports ou au large, et les neutraliser, malgré ses navires de guerre, ses satellites d’observation (capables de lire la marque d’une balle de golf…), ses colossales bases aéronavales (Djibouti, entre autres), ses drones, ses avions d’observation, et de détection de sous-marins, et tutti quanti…
=> mettre sous les verrous les “gros bonnets” vivant confortablement à terre et sur des places financières internationales : ils sont connus, ou alors les services de renseignements sont nuls
=> geler les circuits de financement : il n’y a pas de système bancaire en Somalie, actuellement en pleine anarchie, les rançons (à partir d’un montant consistant) sont versées sur des places financières internationales. Avec le partenariat des compagnies d’assurances concernées qui assurent les navires et, au passage, font flamber les primes d’assurance sur cette zone maritime.
Et, autres bizarreries à la liste inépuisable (2) …
Similaires à la culture du pavot en Afghanistan qui a décuplé depuis l’occupation occidentale et, bien sûr, qu’on n’arrive pas à éradiquer…
Piraterie et pillage
En fait, sous couvert de cette “mythologie Robocop”, ou de ce Robocop Show, se dissimulent une nomenklatura, un appareil d’Etat, soucieux d’avoir un outil répressif qui impressionne le peuple, inhibe toute contestation, et assure le calme. Se mettant à l’abri de tout questionnement, de toute contestation, dès qu’il s’agit de “Sécurité”, intérieure ou extérieure.
Les castes au pouvoir estimant, à l’égal de n’importe quelle dictature, qu’il s’agit d’un “domaine réservé” où le débat et le contrôle démocratiques n’ont pas à s’exercer. Justifiant les régimes d’exception. Brandissant le “Secret Défense”, lui assurant l’impunité, bloquant toute critique possible : “… taisez-vous et dormez tranquilles, on s’occupe de votre sécurité, à défaut de votre emploi…”
Le Robocop Show présente aussi l’avantage de détourner l’attention des véritables problèmes de fond. La piraterie n’est que l’épiphénomène ou le symptôme d’une pathologie beaucoup plus grave que les apparences présentées par les médias de la propagande.
Dans le cas du Golfe d’Aden et de la Somalie, on évacue ainsi la responsabilité collective de l’Occident dans les ravages exercés dans cette partie du monde par une politique démentielle (3). Cette région est mise à feu et à sang, entretenant les chefs de guerres, finançant les guerres civiles. Diviser pour mieux piller. Responsabilité collective : écrasante (4).
La Somalie, après avoir enduré l’occupation britannique et italienne, n’a pu vivre librement son indépendance depuis 1960. Subissant de continuelles ingérences étrangères. Accentuées depuis les années 1990. Dernièrement, en 2006, toutes les pressions ont été effectuées sur l’Ethiopie pour envahir la Somalie. Ce qu’elle a fait dans un premier temps, pour arrêter ensuite ce rôle de mercenaires au service d’intérêts qui allaient à l’encontre de ses propres urgences.
Sur fond d’opposition entre chrétiens et musulmans. N’oublions pas, aussi, cette dimension géostratégique qui s’applique depuis des décennies, dans le cadre de l'idéologie toujours prégnante du "Choc des Civilisations", même si on en édulcore, à présent, le discours : empêcher à tout prix le développement des pays musulmans, en les divisant, les opposant, les morcelant, les asservissant par des dictatures.
La Somalie est un pays riche, très riche : fer, étain, cuivre, bauxite (aluminium). Surtout : pétrole et, enjeu déterminant, uranium. La Somalie appartient à l’Uranium Belt. Cette ceinture de pays richement dotés, dans l’hémisphère nord de l’Afrique, de ce combustible très recherché : Darfour, Centrafrique, Tchad, Niger.
Tout est mis en œuvre pour piller ce pays, et faire en sorte qu’il ne puisse exploiter et valoriser lui-même ses immenses richesses. Jusqu’à ses eaux territoriales, riches en poissons, tellement pillées par les bateaux-usines occidentaux qu’il ne reste plus rien, à part des poissons intoxiqués.
Car, une autre dimension s’est rajoutée : le désastre écologique. Du fait de l’anarchie, les pays occidentaux en
profitent pour se délester de leurs produits toxiques, y compris nucléaires, sommairement enfouis à terre, ou simplement jetés le long de ses côtes maritimes.
Il est vrai que les coûts de revient sont avantageux. Suivant la nature des déchets : de 200 à 300 euros (5) jusqu'à 1000 $, la tonne, en Occident, on obtient des coûts d’enfouissement, ou de déversement, de 30 euros la tonne, pouvant descendre à $ 2,50 (6).
Curieux d’entendre des politiciens dire qu’il ne fallait pas que les voiliers se rendent dans cette zone. Représenteraient-ils des témoins gênants ?... En ce cas, cette vision prospective a un train de retard…
Même le responsable de la Défense Nationale des USA, Robert Gates, ancien patron de la CIA, vient de lâcher le morceau. A propos des pirates, il parle d’adolescents, entre 17 et 19 ans, et les qualifie de gamins inexpérimentés (... untrained teens… those kids...). Convenant que la seule répression, ou solution armée, ne suffira pas pour mettre un terme à la piraterie. Qu’il faudra bien passer par la mise en place d’un “développement à terre” (7).
En clair : il faudra mettre un bémol au pillage du pays et de la région…
En fait, le Robocop Show n’est que de la poudre aux yeux. La sécurité nationale ou internationale s’obtient non par des surhommes, demi-dieux assurés de l’impunité. Mais, tout simplement par la Justice.
En ce qui concerne le cas des pays dits “à risque”, tels la Somalie, on se doit de considérer la Justice au sens du respect des peuples, de leur autonomie, de leurs croyances, et de leurs richesses nationales.
Robocop n’est pas le sauveur de l’Humanité.
Il en est son geôlier.
(1) La libération du capitaine américain du porte-conteneurs (Maersk Alabama), intervenue le week-end dernier, s’est faite à l’extérieur du navire. Il était, avec trois pirates, dans un canot de sauvetage qui le suivait pendant les négociations. Ils ont été tués au fusil à lunette depuis le bateau de guerre US, en escorte, à une distance d’une trentaine de mètres.
(2) Cf. commentaire n° 5 de “Truth”, sur le post précédent : http://stanechy.over-blog.com/article-30121018-6.html#comment40412604
(3) Hari, Johann, La piraterie en Somalie est née pour protéger le pays du pillage occidental, 13 avril 2009, http://socio13.wordpress.com/2009/04/13/la-piraterie-en-somalie-est-nee-pour-proteger-le-pays-du-pillage-occidental-par-johann-hari/
(4) Vadrot, Claude-Marie, Piratages en Somalie : les coupables sont au Nord et en Occident, 12 avril 2009, http://horreurecologique.blogspot.com/2009/04/piratages-en-somalie-les-coupables-sont.html
(5) Vadrot, Claude-Marie, Op. Cit.
(6) Parmi ces déchets : radioactifs (uranium), métaux lourds (cadmium et mercure), plomb, industriels et
chimiques, et en provenance d'hôpitaux. http://english.aljazeera.net/news/africa/2008/10/2008109174223218644.html
(7) Pentagon’s Gates : Somali Pirates in Siege “Untrained” Teens, EasyBourse, 13 avril 2009, http://www.easybourse.com/bourse-actualite/marches/pentagon-s-gates-somali-pirates-in-siege-untrained-teens-650036