Un chanteur
déménageant de France en Suisse, en raison d’avantages fiscaux, a été l’occasion pour la caste politique de procéder à des déclarations, plus ou moins, improvisées. Profitant de cet arbre qui
cachait la forêt, ce fut le règne de la confusion : mélangeant les taux et les seuils, brodant autour du mythe de la libre concurrence et de la mondialisation, confondant l’assiette fiscale,
avec l’évasion fiscale, ou la justice fiscale. Festival de mots creux : « bouclier fiscal », et autres trouvailles de « communicants »…
Tout cela, en fait, contribuant à camoufler une réalité en évitant de se prononcer sur la finalité, pour un Etat, d’une fiscalité qui est celle de donner du sens à une société, dans son destin
collectif : partage, solidarité, justice. Sans aller jusqu’à l’utopie de la fraternité.
A l’analyse, chez tous ces politiciens et leurs médias, des constantes se dégagent :
· Une
hypocrisie : Fuir son pays pour payer moins d’impôts est normal, affirment certains. C’est la loi de la libre
concurrence, de la « mondialisation », incantations magiques irréfutables… Ils savent, pourtant, que l’Europe prend soin d’éviter tout alignement de la fiscalité directe, impôt sur le
revenu, entre les Etats ; protégeant même en son sein des paradis fiscaux (Monaco, Liechtenstein, Jersey, Saint Marin, Luxembourg, etc.)…
Alors qu’elle se montre rigoureuse pour la fiscalité indirecte, TVA ou droits de douane par exemple, imposant une harmonisation des taux entre Etats. Les restaurateurs français qui réclament une
TVA équivalente à celle des chaînes de « fast food », près de 15 % moins élevée, s’entendent dire que c’est « impossible ».
Harmonisation d’un côté, et non de l’autre ? Tout simplement, la restauration n’a pas le poids des Groupes multinationaux de « fast food », qui eux ont droit à
une TVA sur mesure. De plus : ces groupes, savent jongler avec les comptes des paradis fiscaux… Alors, jusqu’à quand cette absence d’harmonisation sur les impôts directs ?
· Une
dissimulation : L’Europe s’est résolument engagée dans une aggravation de l’injustice économique et sociale.
Depuis une vingtaine d’années, on assiste à un renforcement de la fiscalité indirecte, TVA notamment, au profit de l’impôt direct, sur le revenu ou sur les bénéfices, qui diminue en
permanence.
Déjà, en moyenne européenne, la catégorie des plus bas revenus paye plus de 30% en taxe indirecte, alors que les plus hauts revenus ne payent que 15% environ. Le poids fiscal total est de 45%
pour les plus pauvres et seulement 30% pour les plus riches. Et, l’écart va aller s’aggravant du fait du développement de ces politiques fondées sur l’injustice.
Ce sont les faibles revenus et les pauvres qui font vivre l’Etat, ponctionnés sur leurs achats ; les riches, corrélativement, sont de plus en plus exonérés. Dans ce
mouvement qui s’accélère, depuis 1990, on revient à un modèle de société d’Ancien Régime, dans toute l’Union Européenne. Comme au temps de la gabelle, en France, qui accablait le peuple, alors
que l’aristocratie en était exemptée.
· Un
silence : l’omerta sur les sursalaires, les surprofits, la spéculation, les « golden parachute », les
mirobolantes primes au départ des dirigeants. Le travail et la consommation sont surtaxés au profit de la spéculation et des rentes de situation.
Ainsi, des prélèvements libératoires de 10% sur des super profits boursiers ne reposant sur aucune valeur ajoutée, si ce n’est de la pure spéculation. Tous les avantages seront consentis à la
« rente », au détriment du « travail ». Encore plus grave, la protection occulte des paradis
fiscaux par toutes les castes politiques. On sait que c’est là où se réfugie le pillage des économies nationales, tous pays confondus, par la spéculation
et la corruption.
· Une manœuvre
démagogique : « faire bouger la France », est le slogan souvent utilisé par les politiciens, le
mouvement est le même dans d’autres pays européens. En fait, il s’agit de poursuivre le démantèlement des politiques sociales qui sont un instrument fondamental, pour qu’un Etat soit en mesure
d’assurer la justice et la solidarité collectives. L’aide aux soins est visée en priorité. Harcèlement médiatique, matraquage de propagande au sujet du « trou » de la Sécurité
Sociale.
Mais le budget faramineux de la défense nationale est-il rentable ? Où en sont les recettes ? La défense du territoire est impérative. Soit, mais la santé d’une
population et son éducation ne le seraient pas ? Dans un cas on raisonne par principe, la défense nationale, dans les autres, santé et éducation, immédiatement, on parle
rentabilité ou déficit.
· Une
priorité : « l’abaissement des charges » est une priorité, d’après la propagande. Une fois encore, il
s’agit de s’attaquer au « travail », en prenant bien soin de ne pas toucher aux rentes de situation. Protéger les rentes de situation : là, réside la véritable priorité… A aucun
moment, on entendra un politicien dire que l’Etat doit effectuer des économies, non pas, en sabrant des emplois, mais en contrôlant, avant tout, ses coûts. Notamment, d’investissements.
Ainsi, on ne compte pas, en France, le nombre de marchés surfacturés ou inutiles. Cela va de dépassements de marchés, pour une « cause imprévue », jusqu’aux sommes colossales dans les
contrats d’armement accordées, sous forme d’acomptes, pour soi-disant financer leurs recherches. Permettant même à ces entreprises de constituer des banques pour gérer ces sommes, qu’elles
placent sur les marchés financiers. Les grands bénéficiaires de ces tours de passe-passe étant, en priorité, les contractants de travaux d’infrastructure et les fabricants d’armes.
Bizarrement, les mêmes possèdent la quasi-totalité des médias… En résumé, une économie moyenne de 30% par an serait réalisable, sur la gestion des marchés publics, si la volonté et l’honnêteté
politiques étaient au rendez-vous. Elle contribuerait à financer aisément : la santé, l’éducation et les retraites.
Mais la boucle se bouclant, ce sont ces dépassements et surfacturations de marchés publics qui, dans tous les pays notamment la France, « animent » les
comptes « offshore » des paradis fiscaux. Sinon, il y a longtemps que les paradis fiscaux auraient été fermés. L’évasion fiscale, fondée sur la spéculation, le détournement des deniers
publics et la corruption, va vivre encore de longues années tranquilles sous les cocotiers…
Alors ? L’archaïsme de la France, à « bouger », ne serait-il pas au centre de cette fiscalité de République bananière
(*) dans laquelle se complait, depuis des décennies, la caste politique, ou plutôt, l’oligarchie au
pouvoir ?
(*) Un livre à lire, pour réfléchir sur ces questions : Pierson, Christopher, The Modern State, Routledge, 2000.