Un chroniqueur
politique, personnage incontournable des médias, a été "suspendu" pour avoir prononcé, il y a quelques mois, le nom du candidat pour lequel il voterait lors des futures présidentielles. Cela a
suffit pour provoquer une tempête dans un verre d'eau, comme les aiment ces milieux. Cela leur a permis, surtout, de se livrer à une campagne de blanchiment portant sur la
rigueur de leur honnêteté intellectuelle, qu'ils appellent "neutralité".
Cette séance de marionnettes a provoqué beaucoup de rires dans les "parloirs", ou les blogs, de la francophonie. Personne n'étant
dupe... Car, elle a mis en évidence les travers majeurs des médias français quant à leur comportement professionnel relevant de l'information politique : le culte du futile et
l'hypocrisie de l'information biaisée.
Le culte du futile
Suspendre ce chroniqueur est une absurdité. Rappelons que dans son dernier ouvrage, consacré aux candidats présidentiables, il n'avait même pas inclus Ségolène Royal... Suspendre ou pas
suspendre : où se trouve l'enjeu ?
Archétype des journalistes politiques qui, par le réseau de leurs employeurs, ces quelques groupes de presse vivant grassement de leurs contrats avec l'Etat et détenant la quasi totalité des
médias du pays, voient leurs chroniques reprises, en permanence, dans une douzaine de journaux et autres hebdomadaires ou émissions audiovisuelles. Issus du clonage du microcosme parisien,
la platitude de leurs idées, la vacuité de leurs analyses, leur inculture géopolitique sont sans borne. Nullissimes, mais inamovibles.
Cette "suspension" cherche simplement à crédibiliser, dans un double effet : l'importance de ces chroniqueurs dans l'orientation des votes, vis-à-vis de leurs "commanditaires" ; et
l'impartialité des médias, vis-à-vis du public.
L'hypocrisie de l'information biaisée
Avec un cynisme parfaitement maîtrisé, les responsables de la direction de l'information de la chaîne publique, France 2, ont expliqué avoir agi dans le souci éthique de la "neutralité".
Amusant... Pour avoir été témoin que cette même chaîne, animée par les mêmes responsables, invitait systématiquement dans ses grandes "émissions politiques", pendant la préparation de
l'invasion de l'Irak et son déroulement : l' American Enterprise Institute (AEI).
Présenté, aux téléspectateurs français, comme un "think tank réputé"... Connu par les gens un tant soit peu "informés", aux USA et dans le monde,
comme étant la pire officine de propagande raciste anti-arabe, antimusulmane et belliciste ! Il suffit de revoir ces émissions, pour encore mieux percevoir avec le recul, combien il
s'agissait de basse propagande (1).
Deux hypothèses :
i) Soit, ils ne savaient pas qu'ils assuraient la promotion des fonds de cuve du racisme et de l'idéologie coloniale, sous l'habillage à la mode du "choc des civilisations". Dans ce cas, ils
n'exerçaient pas leur devoir d'analyse, d'esprit critique et d'investigation. Professionnellement, ils sont nuls.
ii) Soit, ils le savaient, et dans ce cas, ils sont malhonnêtes.
Mais, comme l'a objecté un de mes interlocuteurs, récemment, les deux hypothèses se cumulent aussi. Il a peut-être raison...
Amusant, encore, pour avoir été témoin combien cette chaîne publique a soutenu le "Oui" au référendum sur la Constitution Européenne, au
mépris de toute neutralité.
Que penser, dans le même registre, des embrassades échangées à la fin d'une émission entre la directrice de l'information de cette même chaîne publique
et le ministre porte-parole du gouvernement ? On n'en finirait pas de citer ces exemples de "neutralité"...
En fait, si ce n'étaient la différence des moyens et le look, la "neutralité" politique des médias français est du niveau de celle qui prévaut, sous la protection de notre pays, dans les multiples "dictatures
républicaines" : Eyadema au Togo ou, encore, Bongo au Gabon, ou, encore, etc...
Mais, n'est-ce pas l'illustration de "l'illusion
politique" (2), décortiquée magistralement par Jacques Ellul (3) dans un de ses ouvrages ? Dégustons trois
extraits :
... « Alors que tout cela, c'est le spectacle, l'apparence sans racine, le jeu... La scintillation du petit écran fixe
définitivement l'attention de l'individu sur le spectacle, et l'empêche par là même de chercher au-delà, et derrière, de se poser la question de la réalité du pouvoir »
(4)...
... « Ce que l'on nous propose là, c'est en réalité la démocratie de propagande, celle où le citoyen
ne décide plus rien parce qu'il est intégré dans une masse fortement organisée, manipulée par la propagande, et qu'il se borne à adhérer avec enthousiasme à toutes les décisions prises en son
nom, ou encore à formuler avec autorité tout ce qui lui est suggéré » (5) ...
... « La démocratie organisée que l'on nous présente n'est rien d'autre que la
constitution d'un système féodal, structurée sur d'autres bases que la propriété terrienne, mais présentant exactement tous les caractères sociologiques d'une féodalité traditionnelle, et les
cadres professionnels des partis, syndicats et mouvements représentant parfaitement la hiérarchie des nouveaux seigneurs » (6)...
(1) On ainsi pu voir et entendre longuement, entre autres, un de ses dirigeants parmi les plus fanatiques : Robert Kagan... Ou encore, les « journalistes » de la chaîne publique laisser entrevoir que la France n'aurait aucun contrat de « reconstruction », si elle ne s'associait pas à l'invasion de l'Irak. Autrement dit, c'était le soutien du : « Précipitons-nous pour participer à la curée »...
(2) Jacques
Ellul, L'llusion politique, publié en 1977. Lire l'édition 2004 (La Table Ronde), avec une excellente préface de Daniel Compagnon.
(3) « ... Ellul souligne que le vrai totalitarisme, conjonction de l'Etat moderne et de la technique, est en passe de triompher, au coeur des démocraties, en dépit du reflux des
tyrannies idéologiques ( et en tant que telles encore très irrationnelles) de Hitler et de Staline... ». D. Compagnon.
(4) p. 220. Op. Cit.
(5) p. 225. Op. Cit.
(6) p. 245. Op. Cit.