L’Année de l’Inde, au Salon du Livre, réveille en moi l’admiration que j’éprouve pour une personnalité indienne fascinante : Arundhati Roy.
Pourtant, elle n’a plus écrit de roman depuis 1997. Dix ans… Mais, quel roman ! Un succès mondial (1), ponctué d’une pluie de prix internationaux, dont le prestigieux Booker Prize.
A la suite de ce succès, elle aurait pu débiter en rondelles son petit filon romanesque, comme les « business women » de l’industrie romancière, bien de chez nous ou d’ailleurs. A
la Amélie Nothomb ou Virginie Despentes.
Avec un bon marketing, relayé par la « presse féminine », les gogos de la critique médiatique, elle aurait été
publiée, chaque année, quoi qu’elle écrive. Par réflexe moutonnier, chacun aurait suivi. Prospérer gentiment…
Belle, elle avait de quoi séduire les magazines féminins internationaux et leurs principaux sponsors : les fabricants de cosmétiques et autres
bâtons de rouge à lèvres. Elle aurait pu minauder, dans un clip, en demandant : " Tu l’aimes ma bouuuuche ?… ". Avec une féminité autrement plus rayonnante et
crédible que les baudruches peinturlurées des films publicitaires…
Non. Trop talentueuse. Trop belle. Trop femme. Trop courageuse.
Vous ne la trouverez jamais dans cette presse ou sur ces plateaux de télévision. Elle est devenue la bête
noire de leurs propriétaires : les marchands de canons et de béton ! Elle s’est consacrée à la lutte pour la défense des paysans indiens et pour la paix dans le monde.
Impardonnable !
Au lieu de se contenter de tartiner sur le misérabilisme et le sort tragique de la femme indienne... Elle veut s’attaquer aux
« racines de la misère » …
Ecrivant, militant, elle n’a cessé de dénoncer les injustices provoquées par la politique des grands travaux (2). En particulier, des barrages en Inde :
spoliation des populations de centaines de villages, expulsées de leurs terres sans indemnisations, terrorisme de l’Etat et de ses entrepreneurs mafieux.
Témoignages accablants des « procédures démocratiques » pour instaurer une implacable dictature des forts sur les
faibles. Elle en a fait un documentaire (3), car elle a fait du cinéma, jouant et écrivant des scénarios pour le cinéma (4), ou pour des séries TV (5).
Dans ses conférences, ses écrits, elle est une des plus ardentes pasionarias contre la guerre en Irak et le génocide de la Palestine (6). Pour le
droit des peuples à l'autodétermination, le droit à disposer et décider de leurs destins. Contre le nucléaire et pour la paix dans le monde (7).
Une partie de la presse indienne, soudoyée par la business mafia associée à des politiciens corrompus, l’a traînée dans la boue. On est allé jusqu’à l’interner une journée en
prison, pour injure à magistrat.
Bien sûr, les extrémistes américains l’ont accusé d’anti-américanisme. Comme on sait le faire en France (8), lorsqu’on critique la politique étrangère américaine.
Rien n’a pu la briser.
Une citation, extraite d’un de ses ouvrages de combat (2), montre à quel point cette génération, très
représentative, d’Asie, d’Amérique du sud ou d’Afrique, est lucide et ne se laisse pas impressionner par la propagande de l’Occident :
« … Quant à la dénonciation de l’hypocrisie occidentale, n’a-t-on pas déjà fait le nécessaire dans ce
domaine ? Qui sur terre nourrit quelque illusion à ce sujet ?
Voilà des gens dont l’histoire est teintée du sang des autres. Colonialisme, apartheid, esclavage, purification ethnique,
guerre bactériologique, armes chimiques. C’est à eux que l’on doit tout cela. Ils ont pillé des pays, effacé des civilisations, exterminé des populations entières.
Ils se tiennent sur la scène du monde nus comme des vers mais pas le moins du monde embarrassés, parce qu’ils savent qu’ils ont plus d’argent, plus de nourriture et des bombes plus grosses que
n’importe qui d’autre.
Ils savent qu’ils peuvent nous balayer de la surface de la terre en moins de vingt quatre heures. Davantage que de
l’hypocrisie, je dirais que c’est du cynisme pur et simple. »
Si ce n’est déjà fait, lisez ses livres : une passionnante introduction dans la vie de ce pays
gigantesque, au cœur de l’évolution géopolitique en cours...
(1) Le Dieu des petits
riens.
(2) Le coût de la
vie.
(3) DAM/AGE : A Film
with Arundhati Roy (2002). A noter le jeu de mots entre "DAM/AGE" (L’ère des barrages) et "DAMAGE" (dégâts, préjudices).
(4) In Which Annie
Gives it Those Ones (1989) – Electric Moon (1992).
(5) The Banyan
Tree.
(6) L’écrivain -
militant.
(7) Elle
a obtenu le Sydney Peace Prize, en mai 2004, pour sa lutte contre les injustices sociales et la non violence.
(8) Hoover Institution,
National Review, Todd Gitlin, Stanley Kurtz…