« Si le pouvoir de normalisation veut exercer le vieux droit souverain de tuer, il faut qu’il passe par le racisme. »
Michel Foucault (1)
Je me ressourçais à la finesse des analyses de Michel Foucault sur le pouvoir et ses dérives, le racisme étant une de ses pires pathologies, quand j’appris qu’un débat entre Tariq Ramadan et Caroline Fourest, se déroulerait chez Taddeï. Dans une émission de FR 3. (2)
Intéressant, me dis-je, d’assister à la rencontre entre une représentante éminente du "racisme d’Etat" français et un intellectuel au rayonnement international, spécialiste de l’Islam. Prudent, toutefois, je n’en attendais pas grand-chose. (3)
Ces rencontres télévisuelles relèvent plus du pugilat, que de la confrontation d’idées, de convictions ou de positions. L’objectif étant souvent, outre de « faire de l’audience », de noyer, parasiter, étouffer les propos de celui qui ne doit pas être entendu. Selon les diktats du politiquement correct.
Tariq Ramadan, j’ai l’habitude de suivre ses interventions sur les chaînes de TV britanniques où il est régulièrement invité, s’exprimant dans un excellent anglais. Toujours aussi clair, concis, serein. (4)
On se souvient qu’il avait été recruté pour occuper la chaire d’islamologie dans la plus grande université catholique du monde, celle de Notre-Dame, dans l’Etat d’Indiana aux USA (5). Mais au dernier moment, le gang "bushiste" dans lequel s’illustra le “grand inquisiteur” fanatique Daniel Pipes (6), spécialiste de la chasse aux universitaires « suspects de déviationnisme antichoc des civilisations », bloqua son visa d’admission.
L’université d’Oxford, au Royaume Uni, le récupéra aussitôt. Il est régulièrement consulté par les autorités du pays. Comme dans d’autres pays européens ou d’autres continents. Ses livres en anglais se retrouvent dans toutes les librairies britanniques. Sollicité dans le monde entier comme conférencier (7), il est l’exemple du chercheur qui étudie, analyse, écoute, regarde, échange. Dans l’humilité.
Sauf en France.
Depuis l’ère Pasqua, ministre de l’Intérieur d’alors qui, entre deux contrats de vente d’armes sur l’Angola, s’arrangeait pour que les préfets interdisent l’obtention de salles de conférences ; lorsqu’on voulait faire venir Tariq Ramadan pour débattre avec lui.
Estampillé « islamiste ». Ce qui équivaut à une condamnation d’excommunication de l’Eglise ou, de nos jours, à une “fatwa républicaine”.
Un test ?
Je vous offre votre poids en chocolat si vous trouvez un seul de ses livres dans une bibliothèque municipale en France ou un centre culturel français à l’étranger. Alors qu’abondent, en bonne place dans ces mêmes établissements publics, les livres de propagande les plus islamophobes, anti-arabes, anti-iraniens, anti-palestiniens, et j’en passe, du circuit de l’édition francophone.
« Liberté d’expression », « Exception culturelle française »… Diabolisons, d’abord. Réfléchissons, ensuite.
En France, Tariq Ramadan est ostracisé par le puissant lobby islamophobe et ses beni oui-oui d’origine libanaise ou maghrébine. Tout simplement, parce qu’il n’accepte pas la diabolisation de l’Islam. Comme tout clou qui dépasse, il a donc droit aux coups de marteau des tenants de notre glorieux héritage colonial. Les « inférieurs » doivent « s’écraser » et demander la permission d’exister.
Hélas ! Son approche intellectuelle n’a rien à voir avec la verroterie conceptuelle de bazar des bateleurs s’autoproclamant représentants “éclairés par la modernité occidentale” de la communauté musulmane d’Europe. Tant prisés par les médias dominants et les milieux intellectuels racistes.
Dont on sait, à part leurs sponsors et autres commanditaires semble-t-il, que :
«… leur fortune médiatique est trop souvent inversement proportionnelle à leur ancrage dans la population qu’ils sont supposés représenter.
Et qu’ils ne doivent leur temps d’antenne qu’à leur capacité à occulter beaucoup d’autres visions, bien d’autres sensibilités, de multiples autres exigences, qui sont souvent celles de la vaste majorité de leurs concitoyens ou de leurs compatriotes, ainsi privés de voix ». (8)
Dans un activisme vibrionnant, Caroline Fourest anime cette mouvance. Tous les médias officiels, presse, radios, TV, lui sont ouverts. Passant pour une spécialiste de l’Islam. Alors qu’elle n’est que l’archétype de l’intolérance islamophobe. Si bien décrite, démontée, dénoncée, dans les livres d’Edward Saïd.
Oui. Les USA ont Daniel Pipes. Nous en France, en Europe, nous avons notre grande inquisitrice : Caroline Fourest. Au culot inébranlable. Transbahutant son fonds de commerce islamophobe, baluchon, bric-à-brac d’intolérance, de suspicions paranoïaques, de réquisitoires en sorcellerie.
Elle m’avait amusée, dans une émission de TV britannique vue à Londres, lors du lancement médiatique de la guerre en Irak. Y avaient été invités des “journalistes” de différents pays européens pour justifier l’innommable : détruire un pays, plus d’un million de morts, sur fondement de mensonges. Tout le monde le savait.
Car une guerre se lance comme un nouveau dentifrice sur le marché, par un matraquage publicitaire préalable ou en accompagnement. La propagande, en pleine effervescence, roulait du tambour sur l’hystérie du choc des civilisations : "l’Islam une menace pour l’Occident" !
Dans sa diatribe anglicisante, Caroline Fourest venait confirmer combien la France était en danger avec des banlieues, des mosquées, des imams propagateurs de la haine de l’Occident…
Pitoyable.
Elle ne voit l’Islam qu'à travers les stéréotypes des néoconservateurs US. Dans un laborieux copié-collé des argumentaires de propagande, élaborés par les officines de la désinformation des Think Tanks. Même pas retraités. Encore moins repensés. Régurgités, simplement.
Le comble du ridicule : quand elle aborde cette immense mosaïque désignée sous l’appellation de Frères Musulmans ! Variant, évoluant, dans sa composition et ses orientations, d’un pays à l’autre, d’un courant à l’autre, d’une époque à l’autre. Avec ses bons et ses méchants, ses héros et ses dissidents, ses martyrs et ses collabos.
Visiblement, sur L’islamisme et les Frères Musulmans, elle ne s’est même pas donnée la peine de lire l’ouvrage fondamental de François Burgat. (9) Le meilleur spécialiste international sur la question.
Alors, dans ce fourre-tout relooké en Chaudron de l’Enfer, Caroline Fourest vient puiser à la louche tous les amalgames, toutes les thèses et condamnations, contre l’Islam. Hypnotisant un public désinformé. Bien sûr, à l’abri des “appellations-alibis”, boucliers de la rhétorique islamophobe : islam radical, laïcité…
Incapable de lucidité, de courage, d’honnêteté, pour constater, toucher du doigt, dire, que ce ne sont pas des musulmans qui occupent militairement, bombardent, rasent des villages, villes, régions, pays, en Europe ou en Amérique du nord. Dans l’hyperviolence. Depuis des décennies. Mais, le contraire. En Terre d’Islam, ce sont des occidentaux, chrétiens ou pas, laïcs ou pas. Semant quotidiennement la mort, la désolation, la souffrance, le désespoir. Dans la bonne conscience.
Refusant d’admettre que l’Islam est une des grandes religions de l’Humanité et donc de l’Europe, elle et ses sponsors la voudraient invisible. Dans son délire inquisitorial, traquant inlassablement le “double langage”, sur fond de procès d’intention. Ce n’est plus la chasse à la taupe moscovite, mais à la taupe iranienne, "islamofasciste", alqaïdesque…
Sa cible privilégiée étant : Tariq Ramadan.
Multipliant, livres, articles, déclarations, présences médiatiques. Cette “journaliste de gauche” pratiquant avec cynisme le « double langage » qu’elle prétend dénoncer. Dans son acharnement, ne cessant de clamer son républicanisme, elle milite pour l’interdiction de Tariq Ramadan dans les universités !…
Semer le doute, instiller la peur. La peur de L’Autre. Du musulman pratiquant. “L’autre race … celle qui, en permanence, et sans cesse, s’infiltre dans le corps social, ou plutôt se recrée en permanence dans le tissu social et à partir de lui.” (10)
Dans un combat incessant “… à partir d’une race donnée comme étant la vraie et la seule, celle qui détient le pouvoir et celle qui est titulaire de la norme, contre ceux qui dévient par rapport à cette norme. ” (11)
L’obscurantisme, l’intolérance, le radicalisme du racisme, le fanatisme, sous couvert de la défense de la laïcité.
D’où vient cette rage ? Exiger la suppression de la parole de « l’autre » ? Pourquoi un tel harcèlement, à l’encontre de Tariq Ramadan ? Pourquoi une telle obsession ?… Heures, jours, mois, années… Implacable.
Au fil des échanges le débat s’enlisait, avec une Caroline Fourest empêtrée dans ses anathèmes incapables de dissimuler amalgames et manipulations. De citations, de contextes, d’erreurs factuelles. Dans la fureur de ses “excuses sincères”, à chaque ramassage “coquillesque” que lui présentait son interlocuteur.
Fragile libellule du tripatouillage informationnel, persécuteur, mensonger, face au rouleau compresseur de la maîtrise méthodologique d’un chercheur du calibre de Tariq Ramadan. Pathétique prestation d’une propagandiste, prise les doigts dans le pot de confiture de la désinformation…
J’éprouvais de la compassion.
Quand progressivement ma perspective changea, grâce au remarquable travail des cameramen et de la régie.
On ne salue jamais assez les prouesses que réalisent ces techniciens saisissant en direct, donc sans montage en post-production, une émission TV. Changer d’angles et de perspectives en permanence pour donner du rythme à un débat, où dialoguent sur un plateau, quand ils ne s’apostrophent pas, plusieurs interlocuteurs.
Pour accentuer l’ambiance « duel », ils reprenaient la pratique magnifiée par Sergio Leone dans ses westerns. Cadrant à tour de rôle, en gros plan, le regard des duellistes. Ne manquait que la musique d’Ennio Morricone, avec ses mélodies portées par une harmonica…
Les yeux, plein écran, la caméra glissant sur les joues et mentons des protagonistes, barbe de l’un, fond de teint de l’autre, pour saisir la lumière dans l’éclat des iris de l’opposant…
Superbe alternance.
Soudain. Je compris. Nulle lueur haineuse, meurtrière.
Aveuglante. L’étincelle. L’illumination. Un champignon atomique surgissant à l’horizon. Ce fut le titre du film d’Alain Resnais, sur un scénario de Marguerite Duras qui me vint à l’esprit :
Hiroshima Mon Amour…
Explosant, fou, jaillissant, passionné, ravageant, fasciné, haletant, déchiré…
Dans la fulgurance bleutée du regard de Caroline Fourest, un cri silencieux jeté à l’homme de sa vie, muré dans son incompréhension…
Tariq Mon Amour !...
1. Michel Foucault, Il faut défendre la Société, Cours au Collège de France - 1976, Gallimard, 1997, p. 228.
2. Emission France 3 à visionner : http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/?page=emission&id_rubrique=833
3. « Racisme d’Etat : un racisme qu’une société va exercer sur elle-même, … un racisme interne, celui de la purification permanente qui sera l’une des dimensions fondamentales de la normalisation sociale. », Michel Foucault, Op. Cit., p. 53.
4. Visitez son site : http://www.tariqramadan.com/
5. http://en.wikipedia.org/wiki/University_of_Notre_Dame
6. http://www.voltairenet.org/article13765.html
7. Visionnez sa récente conférence au Canada : http://www.tariqramadan.com/spip.php?article10915
8. François Burgat, Ôte ta conscience de là que j’y mette la mienne, 3 janvier 2007, http://oumma.com/Ote-ta-conscience-de-la-que-j-y
9. François Burgat, L’islamisme en face, Paris, La Découverte, 1995, Poche 1996, édition mise à jour 2002 et décembre 2007.
10. Michel Foucault, Op. Cit., p. 52
11. Michel Foucault, Op. Cit., p. 53