« Le régime “néolibéral” sape les fondements de la souveraineté populaire en transférant le pouvoir de décision des gouvernements nationaux à un “parlement virtuel” d’investisseurs et de prêteurs, préalablement organisés dans de grandes firmes. »
Noam Chomsky (1)
Prestigieuse cité, dans un site superbe offrant la rencontre de la Volga et de la Kotorosi, à 300 km au nord-est de Moscou. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Fêtant, cette année, son millénaire.
Davantage que Moscou, capitale devenue une mégalopole anarchique de clinquant, pollution et embouteillages. Mieux que la brillante Saint-Pétersbourg aux lumineuses façades du XVIII° siècle, inspirées de l’architecture baroque, italienne ou française. Nous sommes dans la Russie profonde, à taille humaine, où la sobriété des bâtiments historiques est plus proche de la ferveur que de la tristesse, où respirer n’est pas s’asphyxier, où déambuler n’est pas se perdre…
Les 9 et 10 septembre 2010, s’y est tenu un Forum politique international au titre inévitablement ambigu, comme l’exige ce genre de manifestation, pour rassembler le maximum de chalands :
« Etat moderne : standards de la démocratie et critères d'efficacité ».
Créé l'année dernière à l'initiative de la présidence russe, il a pour ambition d’attirer du monde entier : responsables politiques, “managers”, “businessmen”, analystes financiers, “leaders” d’opinion et médias. Avec, évidemment, les incontournables “experts” en tous genres : sciences politiques, économiques, techniques, juridiques, éducation, investissement, sécurité...
Pour y discuter, nous indique le sous-titre de ce colloque, tout aussi brumeux que son titre :
« Du rôle de l'Etat moderne dans la sécurité et la stabilité du monde dans le 21ème siècle ».
Ces manifestations entrent dans la stratégie de communication de la Russie. Accomplissant, depuis peu, des efforts considérables pour améliorer son image. Tout particulièrement auprès des investisseurs et des fonds d’investissements internationaux, afin de multiplier financements de projets et créations d’entreprises accélérant son développement économique.
Luttant ainsi contre la politique de diffamation, organisée par une “industrie de guerre psychologique”, aux moyens gigantesques, héritée de la Guerre Froide. Véhiculée par des pseudos “experts” de la Russie. En fait : “spécialistes” en propagande antirusse, aux visions apocalyptiques prédisant son effondrement imminent dans une ambiance de Guantanamo cyrillique.
Pour ne prendre qu’un exemple, en France, un de ces cuistots de la désinformation, Thierry Wolton, n’écrivait-il pas récemment (en 2008 !) :
« Les héritiers du KGB sont probablement fiers de l’image qu’ils donnent à voir de leur Russie d’ordre, alors qu’elle reflète l’incapacité chronique de ce pauvre pays, qui a déjà tellement souffert, à s’adapter au reste du monde. » (2)
Se débarrasser de ce goudron intellectuel, s’étalant à profusion sur tous les présentoirs des maisons d’édition, librairies et médias occidentaux, exige évidemment d’employer des instruments de communication efficaces…
Forum ou colloque, écouter et analyser les “non-dits”, “trous”, “manques”, derrière discours officiels, interventions savantes, et autres déclarations en séances plénières, sont essentiels. Tous ces bruissements, échanges, libres propos, « backstage », dans les coulisses. Là, se nouent, se dénouent, ou se découvrent, les enjeux véritables.
A Iaroslavl, s’est dévoilée une formidable poussée. Un véritable putsch. Non violent, nous ne sommes pas en Equateur. “Soft”. Feutré. Néanmoins : redoutablement efficace. Car, il ne s’agissait pas d’une horde de policiers voyous et corrompus, instrumentalisés par des services secrets étrangers…
Mais, d’une caste s’autoproclamant “élite du pays”, se revendiquant “atlantiste”. Dans un refrain muet, silencieusement repris en chœur, dans la hargne, la servilité ou la béatitude, suivant les tempéraments, étouffant son hurlement : « L’Intégration à l’Otan ! ».
Se ruant à l’assaut de la doctrine défendue jusqu’à présent par la nation Russe, depuis son redressement succédant à son quasi-naufrage des années 90 : participer aux échanges internationaux, dans un monde « multipolaire ». Ces putschistes ne souhaitant qu’une “intégration” dans un Occident mythique, pôle de “La Civilisation”, la Russie se devant d’admettre la suzeraineté des USA…
Ce putsch va-t-il réussir, durer, prendre racine ?... La Russie est-elle prête à sacrifier son indépendance pour un développement promis par des pays en plein déclin économique ?... (3) Où sont les véritables intérêts de la Russie, pour la fin de ce siècle, et le siècle prochain ?
Ces forces centrifuges qui sont-elles, et sont-elles maîtrisables ?
Alexeï Bogolioubov – Procession de Pâques à Iaroslavl - 1863
Forum politique ou cérémonie d’allégeance ?
S’immerger en Russie, venant d’Occident, c’est découvrir une intensité du débat, des tensions entre courants opposés, portant sur les conceptions et les orientations de la société Russe, au sein des membres du gouvernement, des responsables de l’administration, des dirigeants d’entreprises, de l’armée et des industries de l’armement, dont on a perdu l’habitude sous nos clochers.
A des années-lumière du monolithisme de la pensée et de l’action politiques des nomenklaturas occidentales imposant à nos nations, via leurs médias de propagande, le « parti unique », avec son ballet à deux casquettes et son alternance bidon.
Entre “démocrates” et “républicains” aux USA, “conservateurs” et “travaillistes” en Grande-Bretagne, UMP et PS en France, impossible de glisser une feuille de papier à cigarette, pour ne prendre que trois exemples. Tant visions, objectifs, pratiques, sont similaires. Hors slogans électoraux élaborés par les agences de Pub, appliquant les mêmes ficelles que pour distinguer deux lessives sortant de la même usine…
En Russie, ça bouge, en ce moment… Confrontations, bras de fer, ordres, contre-ordres, se succédant dans une cacophonie, une agitation, qui se ressentent de la diplomatie aux marchés de l’armement (4), de la gestion des municipalités à celles des régions autonomes, des investissements d’infrastructure à la hiérarchisation des grands projets.
Le meilleur historien français de la Russie, Michel Heller, le rappelait :
« Les contradictions, les conflits, les exigences de réformes et la résistance aux changements constituent le mode d’existence de tout Etat. En Russie, toutefois, conflits et contradictions prennent parfois un caractère plus aigu qu’ailleurs… ». (5)
Symptômes de mutation ?
Inévitable que ces courants, convergents ou hostiles, se soient retrouvés lors de l’organisation et la tenue du Forum. Trouver un point commun, un consensus, apaisant tiraillements et circonvolutions, étant difficile, tout le monde se mit à table autour de la tarte à la crème du moment : « La Sécurité »…
Florilège…
Le directeur de l'Institut du Droit Européen auprès du ministère russe des Affaires Etrangères, Mark Entine :
« Est-ce que le droit international est un système de sécurité réagissant aux menaces ? A l'évidence, la réponse est négative. Il nous faut donc avoir en tête toutes ces menaces mais discuter, avant tout, d'un moyen qui nous permettra de réagir à toutes ces menaces. » (6)
Questions que le président Medvedev s’est bien gardé de soulever et, surtout, d’y répondre dans son discours du 10 septembre, devant le Forum réuni. Reprenant la rhétorique de l’idéologie néolibérale, avec l’inévitable couplet sur la démocratie rempart contre le terrorisme, dans ce qu’il a présenté comme un programme en 5 points (9) :
◊ Renforcer le cadre juridique des “valeurs et des idéaux humanistes”
◊ Multiplier les incitations de l’Etat pour assurer un haut niveau de développement technologique
◊ Renforcer le rôle de l’Etat, en veillant à l’indépendance de la justice, dans la protection de ses citoyens, par des programmes de lutte contre : terrorisme, drogues, trafics et immigration illégale
◊ Assurer un haut niveau de culture, d’éducation et de méthode de communication, en reconnaissant l’importance d’Internet en tant qu’apporteur d’information, d’espace de discussion et de débats, nécessaires à toute démocratie
◊ Encourager le rôle actif des citoyens indispensable à la vie d’un Etat démocratique.
Apparaissent en filigrane les “tabous” du Libéralisme : ne jamais évoquer les problèmes fondamentaux de justice économique et sociale, de redistribution des richesses nationales qui sont, en fait, les causes des profondes crises qui déchirent nos sociétés.
Mais, reprendre une rhétorique, une figure de style imposée, n’est-ce pas plier un genou face à celui dont on accepte la règle, reconnaître la suzeraineté de celui qui dicte cette doxa ?... Dont on sait, pertinemment, qu’elles ne recouvrent que ce qu’oligarchies et ploutocraties veulent bien accorder aux peuples qu’ils régentent. Main de fer dans un gant de velours à l’intérieur de leurs frontières, main de fer dans un gant d’uranium appauvri ou de phosphore blanc à l’extérieur…
Dans cet acte d’allégeance, le « monde multipolaire » auquel aspirait la Russie, érigé en principe cardinal de sa politique nationale est fortement, violemment, remis en cause. Par deux forces centrifuges. Leur travail de sape est si acharné, obstiné, puissant, qu’il commence à déstabiliser l’Etat au plus haut niveau.
Impact du “lobby des Russes-Israéliens”
Parmi les partisans exaltés de l’intégration de la Russie dans l’OTAN, et sa soumission aux USA, figure le puissant « lobby des Russes-Israéliens ». Idéologie, vision, action : un copié-collé de celles des néoconservateurs US et des extrémistes sionistes.
Un exemple…
Evgueni Satanovsky représente une des personnalités les plus éminentes et les plus actives de ce lobby de Russes à la double nationalité. Arborant le titre de “directeur de l’Institut du Proche-Orient”, il est portraituré en "expert" Russe du Moyen-Orient, y compris dans les médias occidentaux. En fait, il ne véhicule que l’idéologie coloniale de l’extrémisme sioniste le plus fanatique. Si j’étais moins gentil, je dirais : le plus crade…
Pour avoir une idée de ce niveau halluciné, je vous invite à regarder la vidéo (5mn18) de son interview traduite du russe en français, diffusée par RIA Novosti. Un concentré des pires clichés. La “Flottille de la Liberté”, sauvagement arraisonnée par les commandos sionistes, y est qualifiée, sans rire, de tentative « d’invasion d’Israël » !... Il faut se pincer très fort pour en croire ses oreilles et ses yeux. (10)
Cet « expert Russe du Moyen-Orient », très présent dans les médias et les couloirs du pouvoir, a été président du “Congrès Juif de Russie” de 2001-2004. Créé en 1996, apprend-on, par des « hommes d’affaires » en liaison avec le réseau international de ces congrès relevant de la même affiliation religieuse.
Confusion des genres, scrupule déontologique, ne semblent pas gêner outre mesure cet “expert”… Encore moins les médias, bien sûr, qui adorent batifoler dans cette tambouille.
Pas de quoi fouetter un chat, pourrait-on se dire. S’agissant de propagande, nous y sommes habitués. En France, ou ailleurs, nous subissons depuis longtemps les mêmes “experts” du Moyen-Orient, directeurs des mêmes “instituts” en carton-pâte, paravent des propagandes identiques. Il ne faut s’étonner de rien : le "fast-food" de la désinformation…
Sauf que l’impact du « lobby des Russes-Israéliens », commence à dépasser le cadre de la Russie et à inquiéter sérieusement certains responsables internationaux par son fanatisme, son radicalisme, son entêtement, obsessionnels.
Jusqu’à Bill Clinton, dont on connait pourtant le soutien inconditionnel aux positions les plus extrêmes d’Israël, avec sa pétulante épouse Hillary actuel ministre des affaires étrangères de son pays, qui vient de s’en émouvoir. Au point, de s’en inquiéter publiquement dans une conférence.
Ce lobby va trop loin !... La coupe est pleine !... Par son opposition résolue à toute application des résolutions de l’ONU, à toute paix en Palestine. Déterminer à perpétuer dans l’indifférence, l’horreur et l’injustice permanentes… (11)
C’était le 22 septembre dernier, à New York, au cours d’un entretien enregistré face à Maria Bartiromo de la chaîne CNBC, dans un programme intitulé “Meetings of Minds” de la Fondation Clinton Global Initiative.
Sacrilège, pour ne pas dire "blasphème" !...
Bill Clinton, le gai luron, devenu soudainement grave, osait déclarer :
« ‘Russian Israelis’ key obstacle to peace » (Les ‘Russes-Israéliens’ sont l’obstacle majeur de la paix).
Dénonçant l’afflux massif de colons venus de Russie en Palestine. Produisant des statistiques pour preuves : 16% de la population israélienne parle russe. Soulignant le rôle néfaste d’une majorité de jeunes recrues dans l’armée, d’origine russe, hooligans hyperviolents et racistes votant majoritairement pour l’extrême-droite. Condamnant la "colonisation à outrance"…. (12)
Panique dans les cuisines de la propagande !... Ce fut la course à l’étouffoir, à l’éteignoir… Immédiatement, méticuleusement, les médias occidentaux, se sont arrangés pour ne donner ni diffusion ni écho à pareils propos. Silence presse, radio & TV ! Préférant traiter du sort tragique des babouins dans les forêts en voie de disparition du Kalimantan.
Car, Bill Clinton en est sidéré. On le sent excédé. Il rappelait dans sa conférence qu’en fin de son mandat présidentiel, essayant de rapprocher les positions des deux parties dans une négociation, il se heurtait constamment à l’intransigeance inflexible, fanatique, du “Russe-Israélien” Nartaan Sharansky, ministre du gouvernement du régime sioniste de l’époque.
A croire que cette fureur implacable, à l’encontre des Palestiniens, est vécue comme une vengeance par ces descendants des tribus Khazars converties au judaïsme au VIII° siècle (sur injonction de leur prince, Bulan, pour s’opposer à Byzance et à la Bulgarie chrétiennes), alors qu’ils colonisaient les bords de la Mer Noire et une partie du Caucase avant d’être dissous dans l’Empire Russe deux siècles plus tard, pour toutes les décennies de frustrations, d’humiliations, d’oppressions, endurées sous le communisme stalinien. (13)
On retrouve les mêmes Khazars, à l’origine turco-mongols venus d’Asie centrale, en Géorgie, sous la double identité « Géorgiens-Israéliens ». Temur Yakobashvili, ministre de la défense de la Géorgie s’est rendu célèbre en Russie pour avoir clamé en hébreu sur la radio militaire israélienne, les premiers jours de l’attaque surprise contre la Russie (les commandos géorgiens avaient égorgé et tué au silencieux, dans leur sommeil, les Russes “observateurs internationaux” d’interposition entre Ossétie du Sud et Géorgie, à l’aube de l’invasion) :
“Israël doit être fier de son armée qui a entraîné les soldats géorgiens !”.
Ce sont les israéliens, avec les USA, en effet, qui financent, arment la Géorgie jusqu’aux oreilles, entraînent leurs forces armées, multipliant provocations, agressions et déstabilisations dans le Caucase. Le mettant à feu et sang. Sur le palier d’une des portes d’entrée de la Russie...
Autre personnalité phare « du lobby "Russes-Israéliens" » : Avigdor Liebermann, russophone, actuel ministre des affaires étrangères d’Israël. Connu pour être un extrémiste, fanatique de la pire espèce, il a donné un aperçu du niveau d’éthique de sa conception de la diplomatie par son discours lors de la dernière assemblée générale à l’ONU. Choquant plus d’un, dans ce milieu pourtant blasé…
D’après lui, la solution la plus simple pour « résoudre le problème Palestinien » est d’abandonner le fondement de l'ensemble des résolutions, dispositions, accords antérieurs, pour ne tenir compte que de la réalité d’aujourd’hui : le fait accompli. Sous-entendu : l’application de "La Loi du Plus Fort". Droit international et accords internationaux n’étant, en fin de compte, que des chiffons de papier…
Certains Russes, accablés par tant de stupidité, n’ont pas hésité à brocarder ses outrances : « Les idées de Liebermann sont si larges qu’il faudrait les rétrécir », écrit Dimitri Babich dans RIA Novosti. (14)
Les coups de boutoir répétés et sauvages de ce lobby permettent de comprendre comment volonté et position d’apaisement ou d'équilibre, que la Russie s'imposait et souhaitait faire partager sur certains problèmes internationaux, fondent comme neige au soleil : Palestine, Iran, Syrie… Jusqu’à quel point ?...
Corrosion du cynisme affairiste
Une deuxième force centrifuge a pour vecteur le milieu des affaires, du moins une large proportion. Pour être plus précis : un milieu “affairiste”, se livrant à une corrosion des piliers de la nation Russe.
Ce sont les nouveaux riches, non pas ceux de l’ère Eltsine et de l’écroulement de l’URSS qui n’étaient que des mafieux. Déterminés à s’enrichir, par des valises de “cash”, inconscients des enjeux, en bradant les richesses nationales dont ils s’étaient rendus maîtres en cheville avec la nomenklatura décadente, aux groupes internationaux de l’énergie et des mines.
A présent, il s’agit d’une nouvelle génération plus instruite des mécanismes économiques et spéculatifs, moteurs du “Libéralisme” et de la “mondialisation”. Devenus riches, certains immensément riches, ils aspirent à le devenir plus encore. Toujours plus, avec leurs seconds couteaux, leurs médias, leurs courtisans et leurs bouffons.
Une richesse familiale surgissant en moins d’une génération, sans fondement d’une “découverte” répondant aux besoins ou à l’engouement d’un marché, sans spoliation, ne peut avoir pour origine qu’un mix de corruptions, délits d’initiés et trafics de marchés publics.
Le terreau de cet enrichissement rapide et exponentiel est toujours composé, quel que soit le pays, de marchés d’infrastructure (BTP, barrages, ports, aéroports, réseaux ferroviaires, oléoducs, etc.), d’armements (internes ou à l’export), ou de privatisations (notamment, le secteur banques & assurances, énergies, mines, aciéries, etc.). Marchés, ententes, arrangements, octrois de licences ou autres, opaques et générateurs de commissions occultes considérables. En proportion avec le montant des transactions.
Jamais ne s’édifie une fortune, en moins d’une génération, dans l’investissement industriel à partir de zéro (from scratch, comme disent les anglophones), hors marchés publics ou découvertes majeures (PC, dynamite, pénicilline, etc.). “Jamais”.
Mais, ces nouveaux riches, convaincus de leur génie, en junkies de l’affairisme, drogués au narcissisme ventilé par leurs courtisans ramassant les miettes, ont leur nombril pour centre du monde du fait, estiment-ils, d’appartenir à « l’élite des riches ». Adeptes du darwinisme social le plus extrême, ils n’ont ni le temps, ni le goût de s’intéresser aux autres. Même pas celui de dire au peuple, s’il n’a pas de pain pour calmer sa faim, de manger des brioches, comme nos aristocrates en talonnettes et bas de soie la veille de la Révolution.
Sentiment enivrant d’appartenir à une Caste supérieure représentant la quintessence du Libéralisme… Ils ne s’en cachent pas, en sont fiers.
Ces zélotes du capitalisme sauvage, ont encore moins le réflexe des grands barons du capitalisme américain appelés, dès la fin du XIX° siècle, les Barons Voleurs (Robber Barons) les Carnegie, Morgan, Rockefeller, Vanderbilt. S’intéressant à l’éducation en créant des universités, ou aux pauvres par des actions caritatives.
Tradition philanthropique toujours vivace aux USA (en France, une Liliane Bettencourt ne donnera qu’un vingtième de sa fortune à un copain photographe, mais c’est déjà un commencement…) :
« Une quarantaine de milliardaires américains et leurs familles se sont engagés mercredi à donner au moins la moitié de leur fortune à des organisations caritatives ». (15)
Ceux-là soignent leur image, pour faire oublier les voies et moyens de leur enrichissement.
Seule préoccupation, dans leur volonté d’enrichissement, de conserver leurs privilèges : se lier à « l’élite de l’Occident ». Pour cela, soumettre la Russie aux intérêts étrangers, dans l’abandon de son indépendance. Rêve d’une ploutocratie persuadée que renoncer à la souveraineté de son pays, dans la servilité, les couvrira, eux et leurs rejetons, de richesse infinie…
Les observant dans leur impatience d’intégrer l’OTAN et se coucher à la botte de l’Empire, on pourrait prendre à rebours la déclaration enflammée, en 1914, la veille de la première guerre mondiale, de l'intellectuel nationaliste allemand Adolf Bartels, du genre fanatique, auteur d’un mémorandum politique :
« Le prix de la victoire : une Russie occidentale allemande » (16)
Le credo de ces affairistes :
« Le prix de la fortune : une Russie "Atlantiste" ! ».
Evidemment, ils représentent la tête de pont des milieux d’affaires occidentaux qui les bichonnent, les font passer pour des génies dans leurs médias de propagande. A condition de reprendre et réciter la rhétorique souhaitée : « La Russie doit améliorer ses relations »…
C’est-à-dire ?...
Le Forum de Iaroslavl ne vibrait que de ce leitmotiv : “créer des conditions favorables aux investisseurs étrangers”, y compris aux expatriés occidentaux sur place, pour « moderniser » la Russie. Et, bien sûr : "intégrer l’OTAN".
En clair : ne pas payer d’impôts sur les bénéfices, si ce n’est symbolique comme l’immatriculation des Rolls et Ferrari, libre circulation des capitaux spéculatifs, ne pas payer ses ouvriers dans la "paix sociale"... En bref : Tout pour nous, « élite ». Et, repris en chœur par les affairistes le poing levé : que les autres crèvent !
J’exagère ?... Je vais vous décevoir : même pas.
Connaissez-vous Maksim Shevchenko ?... C’est un analyste politique Russe, très influent dans ce Forum et ailleurs. Fondateur du “Strategic Research Center for Modern World Religion and Politics”, en 2000… Un “institut” censé réunir spécialistes et “experts” des problèmes politiques, sociaux et religieux, contemporains…
On se doit de l’écouter attentivement. Je vous invite à lire son interview en anglais, sur le média russe RT, du 13 septembre dernier. Vous serez édifiés. (17)
A mon avis, il s’agit d’un des meilleurs analystes politiques actuels. Non pas en raison de la pertinence de ses analyses, dont je ne partage pas la finalité, mais parce qu’il énonce clairement, cartes sur table, sans hypocrisie, les croyances et objectifs du “milieu” qu’il représente. Du moins, en tant que porte-parole de ce qu’il appelle : « l’élite Russe ». Ce qu’il dit est révélateur de la mentalité de cette caste d’affairistes.
Singeant les aristocrates de la Cour de Catherine II, ils prétendent ne vouloir qu’intégrer « La Civilisation » !... Méprisant à l’égard de leur propre peuple, considérant la Russie en pays attardé, composé de paysans arriérés, ces descendants de moujiks ne peuvent être que des ploucs incapables de comprendre l’évolution du monde. Tellement bornés qu’il n’est pas utile de perdre son temps à le leur expliquer. N’ayant le droit que de se taire et de suivre ce que l’élite leur dicte.
Parlant au nom de tout le pays, ils estiment que la “modernisation de la Russie” passe par l’application des règles du “club” qu’ils veulent rejoindre, impliquant une totale coopération avec les « élites » occidentales. La Russie ne veut pas être un pays du tiers-monde qui enrichit l’Occident. Préférant être une province éloignée de l’Occident que “leader” des pays de l’Est. Assumant un rôle d’auxiliaire au sens où l’entendait les romains. Payer tributs, fournir armes et troupes à l’Empire.
S’il y a une guerre déclenchée par l’Occident ?... Quels qu’en soient les motifs (contre la Chine, l’Iran, la Corée ou autre…), c’est à ses côtés qu’il faut se joindre. Ceux qui génèrent et gèrent "les crises", et non pas ceux qui les subissent, puisque "les crises" ne sont que l’expression de rapport de forces et de guerres économiques.
"La mondialisation" n’a pas pour objectif de sauver l’humanité, c’est une "domination absolue" de l’Occident fondée sur la "suprématie militaire et économique". C’est pour cela que jamais il ne tolérera le même niveau de développement de l’Afrique et de l’Asie, etc.
Deux passages méritent d’être retenus.
Pauvreté, misère du monde, famine et maladies ravageant plus de la moitié de la planète ?... D’après Maksim Shevchenko, la ploutocratie russe ne marque aucune hésitation :
“They don’t want to be with the poor and the persecuted […] They prefer to side with the West, which is what the Russian elite have dreamed about for the past 300 years, except during the Soviet period.”
Traduction :
« Ils (les membres de l’élite) ne veulent pas être du côté des pauvres et des persécutés […] Ils préfèrent être du côté de l’Occident, qui représente ce dont l’élite russe a rêvé pendant les 300 dernières années, excepté pendant la période soviétique. »
Mégalomanie élitiste atteignant son paroxysme avec cette déclaration rendant désuète, en termes de métaphore, la célèbre formule « après nous le déluge ! » :
“So Russia wants to get on the ship called the Big West and sail to the shining city on a hill, from the foot of which flaming chaos will spread throughout the world”.
Traduction :
« La Russie veut monter à bord du vaisseau du Grand Occident et se diriger vers la Cité Radieuse sur la colline, au pied de laquelle les flammes du chaos se répandront sur le reste du monde ».
On se croirait dans un roman de science-fiction de Philip K. Dick … "La Cité Radieuse", réservée à une caste, dans un monde livré au chaos…
Pétrifié par cette vision d’apocalypse, se terminant en apothéose pour « l’élite du Grand Occident » : c’est « la fin de l’Histoire », s’exclame-t-on ! Pour reprendre l’expression d’un historien-bidouilleur, un temps, à la mode.
Toutefois…
Dans les couloirs du Forum de Iaroslav, on entendait grincer quelques cailloux dans les chaussures en crocodile vernis de cette brillante élite, se précipitant à la queue-leu-leu pour embarquer sur le radeau de l’OTAN, en partance pour la Cité Radieuse. Le même grincement : Poutine 2012, Poutine 2012…
Oui, car suivant l’alternance, Poutine se présentera aux élections présidentielles de 2012.
Cette perspective semble déranger ce milieu. Du temps de sa présidence, Poutine était détesté par les gouvernements occidentaux, mondialistes, businessmen dominateurs, et, bien sûr, l’OTAN. Il avait donc droit au même traitement qu’un Chavez et autres épouvantails médiatiques de la propagande occidentale.
S’il sait se montrer accommodant, conciliant, il est vrai, Poutine n’est pas du genre à courber l’échine. Surtout sous la menace. Pas le genre impressionnable.
Les couloirs du Kremlin résonnent encore des éclats de rire suite à ses commentaires “off the record”, du temps de Bush Junior, sur Dick Cheney et Condolezza Rice (vice-président et ministre des affaires étrangères US du moment) qui prétendaient à grands moulinets menacer la Russie, et lui donner des leçons de "Droits de l’Homme" du haut de la pile des corps suppliciés d’Abu Ghaïb, de Guantanamo, de Bagram et des dizaines de centres de torture de la CIA de par le monde…
Homme de dossier, très pointu, à l’humour pince-sans-rire, Poutine pouvait réciter par cœur, au centime près, la rémunération de ces deux compères sur les 10 dernières années par les groupes pétroliers et de l’armement US… De Dick Cheney qui, dans un accident de chasse, avait tiré du plomb dans son pied ainsi que dans celui de son voisin, il suggérait d’apprendre à tenir un fusil avant de menacer la Russie …
Alors, le cynisme affairiste, prenant ses désirs pour la réalité avec son copain l’OTAN, le laisse de marbre…
Aussi pragmatique que lucide, Poutine sait qu’il faut du fumier pour faire pousser les plantes. Mais, ce n’est pas au fumier à régenter le jardin. Il pourrait faire sienne la citation de l’écrivain, et courageux journaliste, américain Ambrose Bierce, rapportée par Michel Heller (18) :
« L’histoire est le récit généralement inexact d’évènements le plus souvent insignifiants, engendrés par l’action de gouvernants qui, dans leur immense majorité, sont de fieffés gredins, et de soldats presque tous imbéciles ».
Il n’est ni l’homme providentiel, ni le tsar au pouvoir absolu. Lui-même en est conscient. Trop serein, pour revendiquer ces rôles illusoires. Simplement, un Homme d’Etat au centre d’enjeux, de rapports de force, de conflits entre clans, où le conseil sincère côtoie le mensonge le mieux bétonné.
Mais, dont la force est de croire en l’avenir d'une Russie puissante, indépendante, abordant le siècle prochain dans la paix et la prospérité. Pour tous les Russes. Depuis qu’il est premier ministre, il n’a cessé de sillonner la Russie dans tous les sens, jusque dans les régions les plus reculées de la Sibérie. A la rencontre du “pays réel”, prenant à bras-le-corps les problèmes locaux, au contact des habitants les plus modestes. Sa popularité est immense.
Pour cela, il est craint par une partie de l’oligarchie corrompue. Encore plus en Occident que dans la chorale “atlantiste” de son pays.
Museler les grands oligarques qui dépassent les bornes, oubliant les intérêts premiers de la nation, ne le fait pas trembler. Le maire de Moscou, Luzhkov, se croyant intouchable du fait de la fortune considérable qu’il avait accumulée, de plus marié à une des femmes milliardaires de Russie, une des plus riches du monde, vient de l’apprendre à ses dépens. Se prenant pour un Grand Duc, voulant parler d’égal à égal avec le président de la Fédération Russe, il vient d’être remplacé par le bras droit de Poutine, le vice-premier ministre Sergey Sobyanim, authentique gestionnaire incorruptible.
Les affairistes sentent le vent de la steppe siffler à leurs oreilles…
La veille du Forum de Iaroslavl, au cours d’un déjeuner-débat avec les membres du club Valdaï, club truffé d’atlantistes, "d’experts" et journalistes, il s’y est montré souverain d’aisance face aux questions navrantes de bêtise des journalistes qui prétendaient vouloir le “déstabiliser”. Notamment, ceux des médias The Economist ou The Times : minables. Lisez ce court compte-rendu, un petit régal. (19)
Who knows ?... Qui sait ?...
A l’invitation souriante de Poutine, peut-être qu’en Russie les putschistes, « atlantistes » de tous poils, devront-ils descendre de leur Cité Radieuse perchée sur la colline, prendre pelles et seaux, pour contribuer à éteindre l’incendie du chaos que prédation et bellicisme des prétendues « élites du Grand Occident » ne cessent de répandre dans le monde ?...
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(1) Noam Chomsky, Raison & Liberté – Sur la nature humaine, l’éducation et le rôle des intellectuels, préface de Jacques Bouveresse, Editions Agone, Collection Banc d’essais, 2010, p. 235.
(2) Thierry Wolton, Le KGB au pouvoir – Le système Poutine, Buchet-Chastel, 2008, p. 220.
Ouvrage caricatural de propagande antirusse… A la thématique identique pour la Chine, Cuba, Venezuela, Iran, etc. Il suffit de changer le nom des personnes et des lieux, en y ajoutant une pincée de couleur locale.
(3) Paul Craig Roberts, America’s Third World Economy – The Great Transformation, 8-10 October 2010, CounterPunch, http://www.counterpunch.org/roberts10082010.html
(4) Exemple : le projet de vente de porte-hélicoptères Mistral par la France. Ce fut la commande d’un, puis 4, puis 2 construits en France et 2 en Russie sous licence, puis l’annulation du marché au profit d’un navire du même genre et moins cher à La Corée du Sud : le Dokdo, puis finalement l’annulation du marché pour relancer un nouvel appel d’offres international… La valse à mille temps...
(5) Michel Heller, Histoire de la Russie et de son empire, Editions Plon, 1997, pp. 923-924.
Ouvrage fondamental à lire, pour sortir des feuilletons antirusses pondus par les primates de la propagande, et comprendre tensions ou mutations de la Russie actuelle.
(7) http://www.armees.com/Forum-de-Iaroslavl-creer-une-union,33810.html
(8) Beware friendship with Moscow, (Trad : Attention à l’amitié avec Moscou !)
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/sep/28/beware-friendship-moscow-russia-medvedev-putin
(9) Russia’s president addresses the Yaroslavl Forum,
http://rt.com/Politics/2010-09-10/yaroslavl-forum-medvedev-address.html
(10) Entretien vidéo de Evgueni Satanovsky en tant que directeur de l’Institut du Proche-Orient, par RIA Novosti, le 12 août 2010,
http://fr.rian.ru/video/20100812/187228048.html
(11) PO : Les "Israéliens Russes" capables de torpiller le règlement (Clinton), RIA Novosti, 22 septembre 2010,
http://fr.rian.ru/world/20100922/187486981.html
(12) Sergey Borisov, Bill Clinton : “Russian Israelis” key obstacle to peace, RT, 23 septembre 2010, http://rt.com/Politics/2010-09-23/israel-clinton-russian-immigrants.htm
(13) Michel Heller, Op. Cit., p. 26.
(14) Dimitri Babich, Les idées de Lieberman sont si larges qu’il faudrait les rétrécir, RIA Novosti, 1er octobre 2010,
http://fr.rian.ru/discussion/20101001/187545097.htm
(15) 40 milliardaires américains prêts à offrir la moitié de leur fortune, InfoSud – Tribune des droits humains, 5 août 2010,
http://infosud.org/spip.php?article8590
(16) Cité par Michel Heller, Op. Cit., p. 924.
(17) Maksim Shevchenko, RT, 13 septembre 2010,
http://rt.com/Politics/2010-09-13/shevchenko-yaroslavl-forum-global.html
(18) Michel Heller, Op. Cit., p. 9.
(19) Prime Minister Vladimir Putin meets with participants of the 7th meeting of the Valdaï International Discussion Club in Sochi, 8 septembre 2010,
http://en.rian.ru/valdai_context/20100908/160517335.html