Por qué no te callas ?
Vu le ton, avec son tutoiement, l’agressivité de la gestuelle, la traduction se rapprocherait plus de la formule : Ferme-là !... Les médias anglophones, pour la plupart, l’ont
d’ailleurs traduit ainsi : Shut up !...
C’est en ces termes que le roi d’Espagne, Juan Carlos, s’est adressé au Président du Venezuela, Hugo Chavez. Rouge de
colère, le geste menaçant, comme s’il admonestait un écolier, à deux doigts de le gifler. Avant de se lever et de quitter la salle où étaient réunis 22 délégations de chefs d’Etats, lors du 17°
sommet (1) des Etats hispanophones d’Amérique latine, à Santiago du
Chili.
Les images ont fait le tour du monde. L’apostrophe de Juan Carlos a même été adoptée, l’humour reprenant ses droits, comme sonnerie de téléphone en Espagne et en Amérique latine. Les commentaires
dans la sphère hispanophone ont fait rage, avec chez les anti-Chavez, l’inévitable glorification de l'arrogance du roi
d’Espagne. Mais, la majorité des latino-américains ont éprouvé une admiration renforcée pour Chavez, doublée d’un profond mépris pour un monarque représentant, avec sa suffisance raciste,
l’ancienne puissance coloniale…
Au-delà de l’anecdote, ou de la qualification de cette algarade, il est intéressant de prendre un peu de recul par rapport à l’incident. Car, il est représentatif du
basculement géopolitique en cours en Amérique latine. Immense lame de fond, progressivement en train de lever, que les responsables politiques occidentaux, et leurs organes de propagande, sont
incapables de prendre en compte. Nous assistons, sous les coups de boutoir symboliques d’un Chavez, à une refondation des relations entre anciennes colonies et anciennes puissances coloniales.
J’y perçois trois niveaux d’exigence :
1. Exigence de l’égalité dans le respect
i) Un chef d’Etat élu mérite autant de respect qu’un monarque imposé par un dictateur
Sur la vidéo qui circule sur le web, on assiste à une demande d’explication de Chavez, au cours de laquelle il rappelle l’implication de l’Espagne pour le renverser, aux cotés des américains, et,
accessoirement, le faire assassiner (2). Nullement
intimidé par l’embarras du premier ministre Zapatero, il insiste et traite l’ancien premier ministre, Aznar, de "fasciste", pour avoir soutenu un coup d’Etat dans un pays souverain, le Venezuela.
L’ambassadeur espagnol était allé jusqu’à commettre l’imprudence de se déplacer pour venir féliciter les putchistes, dans les premières heures de ce "golpe" qui devait
échouer quelques heures plus tard.
Zapatero, venant au secours de la réputation de son prédécesseur et récusant le qualificatif "fasciste", demande le respect dans l’enceinte du sommet vis-à-vis d’un élu du peuple espagnol.
Surgit le plus amusant, au moment où il exige le respect, le roi d’Espagne présent, devant les représentants des anciennes colonies espagnoles, disjoncte et s’adresse avec la plus extrême
grossièreté à Chavez. Lui demandant de se taire !...
Comme a répliqué Chavez, il est le représentant élu démocratiquement, à plusieurs reprises, avec plus de 63 % des voix lors
du dernier vote, d'un Etat souverain. A ce titre, il a droit, et son peuple au-delà de sa propre personne, à autant de respect qu’un chef d’Etat qui n’est, après tout, qu’un monarque imposé par
un dictateur : Franco. Il n’a pas l’intention de se taire, encore moins devant un roi, pour reprendre ses termes.
ii) Racisme et néocolonialisme
Chavez concentre sur lui un racisme colonial dont on a du mal à mesurer l’amplitude en Europe et en France. Nos médias de propagande prenant soin de "lisser", ou d’atténuer cette attitude. Aznar,
du temps où il était premier ministre espagnol, jouant sur les mots, appelait Chavez : "la oveja negra", la brebis galeuse, le mouton noir. Le mot à retenir est
"noir"...
Ce terme est permanent dans les milieux diplomatiques occidentaux et la "caste blanche" vénézuelienne : negro en espagnol, nigger ou encore black monkey, en anglais. Le nègre, le singe noir… A travers lui sont visés, consciemment ou inconsciemment, la majorité des
vénézuéliens, amérindiens, souvent métissés d’anciens esclaves noirs. Ce qui est le cas de Chavez. Dont il est fier. Assumant parfaitement ses racines. Amérindiens méprisés, marginalisés,
exploités par la "caste blanche", descendant des colons espagnols et européens (3), depuis des siècles.
Ce racisme, dans son expression, va très loin. A l’ambassade américaine de Caracas, où Chavez est, bien sûr, honni, un spectacle de marionnettes avait été organisé (4), lors d’une réception. Il y figurait sous les traits d’un "singe noir". Manque de chance ce
jour là, Colin Powell de passage, noir lui-même, n’avait pas apprécié. L’ambassadeur s’était fait taper sur les doigts et avait dû présenter des excuses...
C’est dire le climat d’hystérie coloniale, pétri de racisme, qui règne dans la communauté occidentale au Venezuela, relayé, évidemment, par les organes de propagande des grands médias
occidentaux. Fox, donnant la tonalité. Les autres, y compris en France, reprenant en copier-coller.
Si Aznar ne cessait de traiter Chavez de "nègre", lui le traite de "fasciste". Mais, pour de bonnes raisons : parce que le premier ministre d’une nation européenne se permet de fomenter des
coups d’Etat, dans un pays souverain qu’il considère, encore, comme une colonie. En fait, Chavez a donné une excellente leçon à ces voyous qui se trompent de siècle. Nullement impressionné par
ces hidalgos d’opérettes, avec leurs rubans et leurs talonnettes. Applaudi, en cela, par toute l’Amérique latine. Exception faite de la "caste blanche"…
2. Exigence de l’arrêt d’un pillage
Au cours de ce sommet, un des thèmes récurrents a été la prise de conscience progressive et collective du pillage auquel se livrent les grandes multinationales, qui en Amérique latine sont à teinture espagnole. Proximité linguistique oblige. Schéma que l’on retrouve sur d’autres continents : sociétés françaises en Afrique dite francophone, sociétés britanniques en Afrique dite anglophone, etc.
Pas seulement dans l’énergie. Mais, dans ce qui constitue pour elles une fabuleuse rente de situation : les "services aux collectivités". Tous les contrats arrachés lors des dictatures mises
en place et protégées par l’Occident. Tout particulièrement : distribution d’eau et d’électricité, traitement des ordures ménagères, concessions de téléphone fixes et mobiles, etc.
Les multinationales, il suffit de lire leurs rapports annuels, ne s’en cachent pas, y réalisent leurs meilleures marges. Précision : ces marges confortables, elles ne les réalisent pas en
Occident, mais dans les économies émergentes. La "segunda conquista", la deuxième conquête comme disent les cyniques, en parlant de l’Amérique latine…
Ajoutons que ce sont des "services publics", que les ingénieurs et managers de ces pays pourraient parfaitement gérer, avec transparence, dans le cadre de sociétés privées ou publiques
nationales. Toutes les qualifications et les talents sont là. Sans avoir besoin d’une sous-traitance totale à des entreprises étrangères. Sous-traiter la construction d’un satellite de
télécommunication, à la rigueur. Une régie de distribution d’eau : il faut vraiment souffrir, pour un pays, de masochisme aigu au point d’en arriver là. La Mairie de Paris envisage de
reprendre la gestion de sa distribution d’eau. Pourquoi des villes et des pays latino-américains ne seraient-ils pas en droit d’arrêter le pillage qu’ils subissent
?...
Ce sont des bassins de consommateurs entièrement livrés à des entreprises qui les tondent comme des moutons, sans aucun contrôle d’organisme régulateur en mesure de vérifier
les marges. Ce sont ces contrats léonins, octroyés lors de dictatures corrompues, que tous les pays d'Amérique latine demandent à réviser. Venezuela, Bolivie, en première ligne. Il y a de la
"nationalisation" dans l’air…
Juan Carlos, en parfait représentant de commerce du capitalisme prédateur espagnol, en a eu chaud aux oreilles, pendant les journées de ce sommet. Lui et ses commanditaires sont excédés par le
vent qui souffle actuellement sur l’Amérique latine : la volonté d’arrêter le pillage des multinationales. De quoi, sous la pression, disjoncter à l’idée que le pactole puisse s’évaporer…
3. Exigence du respect de la souveraineté des Etats par l’ancienne puissance colonisatrice
Chavez mène le mouvement de contestation des emprises occidentales, européennes, anciennes puissances colonisatrices, se livrant à d’incessantes manœuvres de déstabilisation politique, économique. Allant jusqu’à appuyer, organiser, collaborer à des coups d’Etat, des
assassinats de dirigeants politiques.
C’est une époque révolue. Mais les puissances occidentales s’accrochent à ces anciennes pratiques. N’hésitant pas, ainsi qu’on peut le constater, dans plusieurs pays, à utiliser la force. Le respect de la souveraineté va constituer un des axes majeurs de la refondation des relations que j’évoquais.
D’abord, en Amérique latine, puis par "tâches d’huile" dans les autres continents.
Dans les résolutions finales du sommet de Santiago du Chili, l’une d’entre elles est particulièrement intéressante. Elle éclaire l’incohérence et le double jeu des pays européens. Cette
résolution exprime, en effet, le soutien de tous les pays hispanophones, dont l’Espagne, à l’Argentine pour la récupération des îles Malouines au large de ses côtes, toujours détenues par la
Grande Bretagne. De même que L’Espagne souhaite récupérer Gibraltar, possession britannique sur son territoire.
La veille de ce sommet, le 5 novembre, le roi d’Espagne s'est rendu en visite officielle dans la ville de Ceuta. Enclave espagnole sur le territoire marocain, depuis les conquêtes coloniales du
XV° siècle.
Imaginons que la reine d’Angleterre vienne en visite officielle dans la ville de Calais, qui serait encore possession britannique. Réaffirmant ainsi la souveraineté britannique sur une ville dont
la France réclamerait pacifiquement la restitution. Ce serait vécu comme une provocation. Pire : une insulte. C’est ainsi que le Maroc et les marocains l’ont vécu.
Finalement, Juan Carlos est à côté de ses escarpins…
Chavez a raison, c’est une tête à claques…
Viva Chavez !
1) Journée de clôture du "XVII° Cumbre Iberoamericana", le 10 novembre 2007.
2) Tentative de coup d’Etat du 11 avril 2002, dans lequel sont impliqués, entre autres, l’Espagne avec son ex-premier ministre, Aznar, et l’ambassadeur espagnol de
l’époque, Manuel Viturro.
3) Autre exemple : Les médias, de la "caste blanche" vénézuélienne, n’arrêtent pas de traiter le
Ministre de l’Education Nationale, Aristobulo Isturiz, qui est noir, de "singe noir" ou de "gorille".
4) Nikolas Kozloff, Hugo Chavez and the Poltics of Race – The White Elite strikes back, Counterpunch.