Ce billet reprend l’essentiel de mes commentaires publiés dans le précédent, intitulé Racisme : La Terre est Plate…
Des amis lecteurs m’ont demandé de les réunir pour les rendre plus faciles à lire qu’éclatés en différents morceaux. Je les ai donc repris, ajoutant des liens pour ceux qui souhaiteraient approfondir leur information, complétant certaines phrases, corrigeant des coquilles au passage...
Ils traitaient d’un point soulevé (1) sur le rôle désastreux, cette "collaboration" servile avec l'occupant, de l’Autorité Palestinienne, autrement dit de Mahmoud Abbas et de son équipe, dans la représentation de la Nation Palestinienne.
Il pose effectivement un problème capital dans la conduite des collectivités : celui du rôle moteur du “responsable”, du “chef”, du “leader". Qu’on me pardonne cet anglicisme, mais j’adopte le concept de Leadership plus proche du coeur de l’analyse que celui d’ “Elites”.
Une lucrative discipline prospère, avec des kilomètres d’ouvrages académiques, dans les écoles de gestion et les Business Schools, de Stanford à Fontainebleau, sur le Leadership et son importance dans les organisations humaines.
La plupart sont du niveau d’un roman de gare. Consistant à démultiplier des clichés-recettes : comment licencier, sous couvert de l'excellence en productivité, ou comment délocaliser sous habillage de “culture de la mondialisation”. Car un Leader, sa culture, sa personnalité, son expertise, ne peuvent être qu’un vecteur de la mondialisation. Sans peur et sans culpabilité. Certains charlatans en coaching ne vont-ils pas jusqu'à décréter que le meilleur leader est celui qui saute à l'élastique plus haut que les autres...
On voit où cette profondeur conceptuelle a conduit l’économie, la finance, la gestion des entreprises, des groupes industriels et bancaires, dans leur ensemble…
A ma connaissance, les recherches sur le leadership d’une “nation occupée militairement” et “asservie” par une puissance coloniale sont inexistantes. Car, le cas de la Palestine s’inscrit dans ce cadre extrêmement précis.
Pour reprendre le cas dramatique que vit la Nation Palestinienne, il convient d’avoir présent à l’esprit des paramètres fondamentaux, dans la relation “puissance occupante-nation asservie” :
1. L’assassinat systématique des “leaders”
Depuis une soixantaine d’années, les sionistes ont appliqué une politique d’élimination systématique des leaders Palestiniens refusant le fait accompli de la Nakba, du vol de leurs terres et de leur identité.
A l’exemple de toutes les entreprises coloniales dans l’Histoire. Le meurtre, par exemple, des chefs Amérindiens en Amérique latine, en Amérique du nord a découlé de ces mêmes priorités. De nos jours, moyens décuplés par la technologie. En Afghanistan, c’est actuellement la "politique des drones" avec pour objectif de tuer tout responsable s’opposant à l’Occident, quels qu'en soient les dommages collatéraux.
Qu’on se souvienne des assassinats des responsables ou leaders Palestiniens dans les capitales européennes, y compris à Paris. Qu’on se souvienne des assassinats à Beyrouth, qui mettaient les médias occidentaux en extase, où des responsables Palestiniens étaient tués dans leur sommeil. Ou encore, dans des camps Palestiniens au Liban, ou même à Damas, récemment, et ailleurs. Assassinats pour lesquels on attend à ce jour une mobilisation de l’ONU…
Ajoutons que, dans "leaders", sont visés par les puissances coloniales : artistes, écrivains et poètes. Qui, très souvent représentent l’âme de la nation victime de l’oppression et du massacre. La plupart n’ayant jamais tenu une arme entre leurs mains, mais simplement un stylo, ou un pinceau, pour défendre leur nation.
Pour les sionistes, ces “leaders d’opinion” ont été, et sont, une cible tout aussi prioritaire qu'un "leader politique". On n’imagine pas en Occident, l’ampleur, le degré de cruauté, de cynisme, de sauvagerie, de cette chasse à l’homme.
Un témoignage émouvant : Le grand poète Mahmoud Darwich, lors d’un colloque de poésie à Tunis, peu de temps avant sa mort, ne pouvait s’empêcher de fondre en larmes à l’évocation de tous ces poètes sacrifiés, tués, par la barbarie sioniste (2).
2. L’installation des marionnettes et le règne de la terreur
Suite à un tel régime de tuerie industrielle, il ne reste que la médiocrité sur laquelle s’appuie l’occupant. Une fois éliminé les meilleurs, il ne reste plus qu’à acheter les plus faibles, ceux qui ont renoncé, et installer des “marionnettes” dont on tire les ficelles. Les exemples abondent.
La famille d’Abbas est milliardaire, puisque toute l’aide et les autorisations, licences d'importation et autres, passent par lui et son clan : depuis les matériaux de construction jusqu’à l’aide alimentaire.
Dans l’écrasement de Gaza, une des priorités est de ne faire transiter l’aide alimentaire et les fonds de la reconstruction qu’à des membres de ces clans de “collabos”, pour neutraliser l’important rôle social et humanitaire du Hamas.
Le plus terrible est de voir l’occupant promouvoir d’authentiques bandits pour continuer leur travail. A l’exemple des allemands pendant l’Occupation en France. Et, l’Occupation n’a duré que 4 ans. Imaginons 60 ans d’occupation allemande en France, où la moitié des français seraient chassés de leurs terres et de leurs maisons, pour être remplacés progressivement par des colons allemands…
Paris se souvient encore d’Henri Lafont et de sa bande de la rue Lauriston, un des rouages essentiels de la Gestapo allemande. Spécialisé dans les enlèvements, les assassinats, les tortures pour le bénéfice de l’occupant.
Le sinistre Dhalan avec sa milice privée, bras droit d’Abbas, est dans la ligne de ces criminels “collabos”. Bénéficiant du soutien armé et financier de tous les services spéciaux occidentaux, pas simplement celui des sionistes.
N’oublions pas la panoplie des différentes pressions, destinée à inscrire la terreur au quotidien et annihiler toute émergence de leadership. On menace vos parents, les gens que vous aimez, etc. On vous “convie” à des séances de torture. Souvenons-nous des témoignages sur la sinistre SAVAK, la police secrète du Shah d’Iran, qui torturait des parents devant leurs enfants, ou des enfants devant leurs parents…
3. Environnement et soutiens extérieurs
Si de Gaulle n’avait pas été basé à Londres, il n’aurait jamais pu animer et coordonner la résistance et représenter la France. En France, il aurait été assassiné, ou pris et mort sous la torture, comme Jean Moulin.
C’est un des points faibles de la résistance Palestinienne. Il aurait fallu constituer un gouvernement fort et soudé “en exil”, protégé par un Etat “puissant”. La petite et courageuse Tunisie, qui a accueilli, un moment, le gouvernement Arafat en exil ne pouvait pas grand-chose. Jusqu’au fauteuil d’Arafat qui était truffé de micros…
Pour le moment tous les voisins de la Palestine sont à la botte de l’occupant occidental, en particulier l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie Séoudite, et les pays du Golfe. La Syrie, dont on ne soulignera jamais assez l'extraordinaire courage, est mise sous pression constante, sur la défensive, subissant même des bombardements aériens auxquels elle n’a pas les moyens militaires de répondre…
Castro, dont on ne peut nier l’exceptionnel charisme lors du renversement de la dictature Batista, a bénéficié de la protection du relief de l’île de Cuba, de la "guerre froide" et du fait que le pays n’était pas occupé militairement par une puissance coloniale. Ho Chi Mhin aurait-il survécu sans la protection de la jungle du Vietnam et du soutien militaire russe, du fait aussi de la "guerre froide" ?...
Les Palestiniens sont pour le moment dans le dénuement extrême, sans réel appui extérieur et dans un pays totalement quadrillé. Oui. Abbas, malgré son passé, est totalement discrédité auprès de son peuple. Oui, lui et son clan sont vomis par les Palestiniens.
Que faire ?...
Le sort de la Palestine et de la région, dit-on, ne pourra être réglé que si du côté de la Palestine surgit un Mandela, et un De Klerk du côté sioniste, comme en Afrique du sud. Mais le conflit a atteint une telle proportion qu’il en faudrait autant chez les pays voisins, que chez les occidentaux.
Les conditions, pour que de tels leaders émergent, ne sont pas réunies, tant que l’Occident soutiendra aveuglément l’extrémisme sioniste, comme on vient de le constater à Durban II…
4. “Vide politique” et radicalisme
Au meurtre des leaders, s'ajoute, aussi, un “double effet” : le soin particulier, cynique et constant du colonisateur de freiner au maximum l’accès à l’éducation, notamment au niveau universitaire, des colonisés. On veut bien des “petites mains”, capables d’occuper des fonctions subalternes et de comprendre ordres et consignes, mais pas davantage.
A la grande époque de la colonisation, l’Algérie (Maroc et Tunisie étant des “protectorats”), l’Afrique, l'Asie, l'Amérique latine, colonisées par les anglais, français, portugais, hollandais, espagnols, sont un exemple historique de cette pratique. Rappelons qu’en Palestine, les écoles sont des cibles prioritaires. Déscolariser les Palestiniens étant un objectif fondamental…
Nous retrouvons l’impact de ce phénomène dans un domaine connexe. Si tant est que nous puissions dresser, dans notre monde contemporain, une typologie des différents régimes d’oppression instaurés par des nations conquérantes, coloniales ou impériales, sur des nations asservies.
Nous ne sommes plus dans le cadre d’une occupation militaire (à part des bases discrètement positionnées) type Palestine, Irak ou Afghanistan, qu'on ramène à "l'âge de pierre" pour reprendre un terme qu'affectionnent les "ziocons". Il s’agit d’un autre cas de figure : celui des dictatures relais-nations asservies. On a parlé de néocolonialisme, mais le mot est galvaudé.
Dans ce cas, l’Occident exerce son emprise, et contrôle des pays, sans les occuper militairement, via des dictatures installées, tout en maîtrisant leur appareil militaire, de renseignement, de police et bien sûr leur économie. Par des “experts” détachés, ou formés par l’Occident.
Là encore, est rigoureusement appliqué le schéma d’action évoqué : éradiquer tout leadership s’opposant à cette mainmise.
Au plus fort de la “guerre froide”, l’Amérique latine a subi le choc de ces atrocités. On parle des goulags de Staline et de ses épurations, mais jamais de ce que l’Occident a perpétré dans de multiples pays sur plusieurs continents pendant cette même période.
Nous connaissons l’Opération Condor, en Amérique du sud, dans laquelle se sont particulièrement illustrés les spécialistes français réputés, en ces années-là, pour leur expertise forgée pendant la guerre d’Algérie : manœuvres de contre-insurrections, désinformations et propagandes, emploi systématique de la torture contrôlée médicalement, assassinats et disparitions des corps et traces.
Ils étaient envoyés auprès des gouvernements sud-américains, en supplétifs des USA, dans le cadre d’accords secrets remontant à 1959. Coopération atteignant son régime de croisière entre 1971 et 1984. Tout cela, sous la présidence des “humanistes distingués” : Giscard et Mitterrand…
Des milliers de leaders, d’opposants, sous prétexte de lutte anticommuniste, enlevés, torturés, tués, dont on ne retrouva même pas les corps. Dans tous les secteurs de la société (y compris des religieux et religieuses), des gens éduqués, formés, constituant une classe moyenne active et à fort potentiel de développement pour tous ces pays.
Même schéma, en Amérique centrale, notamment au Nicaragua, magistralement évoqué dans le discours du Nobel par Harold Pinter qui s’était fortement mobilisé pour défendre ce petit pays. On pourrait évoquer aussi les 500.000 morts et disparus en Indonésie (3), etc. Cela n’en finirait pas.
Le point fondamental évoqué comme conséquence de ces tueries de masse, le “vide politique”, du fait de la disparition de cadres et leaders, s’est parfaitement vérifié en Iran. La SAVAK du Shah, formée et encadrée par les occidentaux, a fait disparaître des milliers de cadres, sous prétexte encore de "lutte anticommuniste" : médecins, ingénieurs, architectes, techniciens, écrivains, journalistes, enseignants, etc. Ne restent alors, quand le “réservoir” de cadres est insuffisant, que les éléments radicaux, corrompus, noyautés souvent par des gangsters…
In Iran cela durait depuis 1953 : le renversement par la CIA de Mossadegh, régulièrement élu mais ayant eu le tort de vouloir que les richesses de son pays soient exploitées au bénéfice de ses habitants, et non pas exclusivement pour celui des compagnies pétrolières étrangères. Tout ce qui aurait pu provoquer un début de contestation a été anéanti, dans ce qui restera dans l’Histoire comme un des plus atroces régimes conçus par l’Homme.
Tant et si bien que lorsque la révolution est arrivée, le régime lâché par l’armée, la rénovation sociale n’avait plus, comme structure apte à assurer un leadership, que la hiérarchie religieuse qui avait été à peu près épargnée…
Rappelons qu’à la même époque, lorsque Saddam a réussi son coup d’Etat en Irak, soutenu par les occidentaux dans le cadre de la "lutte anticommuniste", j’ai eu l’occasion de le mentionner, les historiens ont démontré que la CIA lui avait remis une liste de 9000 personnes à faire disparaître. Tous des cadres et des gens extrêmement bien formés.
Il est vrai que décapiter cette "matière grise" entraîne des retards dans le développement de ces pays, de plusieurs générations... N'est-ce pas aussi le but non avoué, mais recherché ?... Notamment, pour les pays musulmans ?...
Comment s’étonner que l’acharnement occidental, son fanatisme, rappelant les années noires de l’Inquisition, son aveuglement, aient provoqué une radicalisation des populations et un rejet des “fausses valeurs” promues par des régimes détestés…
Pas surprenant, non plus, que dans ces pays, lorsque nous, occidentaux, prononçons, invoquons, les mots “droits de l’homme” ou “démocratie”, on nous (dans le meilleur des cas…) rit au nez…
(1) Merci à Aline-Mariali et Hédi d’avoir suscité et animé ce débat, ainsi qu’aux autres amis lecteurs pour m’avoir incité à rédiger ce billet, notamment emcee du blog Des Bassines et du Zèle.
(2) http://www.elaph.com/Web/Video/2008/8/355806.htm
(3) Pour les cinéphiles, je recommande un film qui a pour cadre le début de l'organisation de ce qui fut un gigantesque massacre au nom de la "lutte anticommuniste" en Indonésie, sous la présidence de Sokarno : "L'année de tous les dangers". Film de Peter Weir sorti en 1982, aux multiples récompenses, avec Mel Gibson, Segourney Weaver et, surtout, la bouleversante Linda Hunt qui obtint l'Oscar du meilleur second rôle.
Illustration : La reddition de Vercingétorix, héros de la résistance gauloise, à Alésia, face à Jules César. Tableau de Lionel Royer (1899).
Vercingétorix fut étranglé dans sa prison, à Rome, après avoir été exhibé comme trophée lors de la parade triomphale de César à son retour de Gaule. Au préalable, ce guerrier magnifique avait été réduit à l'état de loque humaine...