Rafael Correa, dès son élection (1), a décidé de diminuer sa rémunération de Président de la République, par deux. Estimant
indécent, l’écart entre les revenus de cette fonction, directs et indirects, avec leurs privilèges annexes, et ceux du citoyen moyen. Fonction, qu’il estime comme devant être vécue, avant tout,
sous forme d’un sacerdoce et non pas d’un "fromage" lucratif pour lui, sa famille, ou son clan. Il a, d’ailleurs, étendu cette mesure à tous les titulaires de postes gouvernementaux.
Nous sommes à des milliers de kilomètres de l’Europe, il est vrai. A Quito, capitale de l’Equateur. Sur une autre planète…
En France, une des premières mesures du nouveau Président de la République, lors de sa prise de fonction, a été d’augmenter ses revenus de 140 %. Parallèlement, pour témoigner sa reconnaissance à l’égard des sponsors qui l’ont soutenu pendant sa campagne électorale, il a accordé à la catégorie des revenus les plus élevés, c’est-à-dire aux plus riches de la population, des "cadeaux fiscaux".
La propagande est arrivée, difficilement, à minimiser leur total à une quinzaine de milliards d’euros. En fait, c’est, au minimum, du triple de ce montant dont il s’agit. Au moment, où, ne cessent de nous répéter les politiciens et leurs organes de propagande, des efforts sont "indispensables" pour relancer la croissance…
Nous sommes dans la symbolique rayonnante d’un régime ploutocratique.
A l’exemple de ce qui se passe dans les autres pays occidentaux, européens
notamment. Triomphe du "Libéralisme Economique", dont on sait qu’il n’est que l’habillage idéologique du "Capitalisme
Sauvage", le plus brutal.
Pour la France, ce modèle économique et social va être imposé avec détermination par la caste au pouvoir. Il est devenu européen, ne l’oublions pas. Organisé, coordonné, cautionné par les oligarchies dirigeant l’Union Européenne.
Les grèves et manifestations massives, réactions et sursauts démocratiques salutaires, n’y pourront rien. Le cynisme des nantis n’a plus de
bornes. Les fondements mêmes du contrat social de notre République vont être dynamités : Liberté, Egalité, Fraternité.
Ce sont ces trois piliers dont je veux évoquer la disparition. En les prenant dans le sens inverse de leur invocation illusoire, pour terminer par la Liberté. Notre bien le plus précieux.
Le dynamitage de la Fraternité ou de la Solidarité
Les "régimes spéciaux" de retraite de certaines catégories de salariés, mis en place essentiellement au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ont été diabolisés par le pouvoir. Présentés comme une injustice, à l’égard des autres français qui n’en bénéficient pas.
Or, ces régimes de retraite ne sont que la base sur laquelle devaient et devraient être alignés les régimes de retraites de tous les français.
Loin d’être une injustice, c’est un minimum à atteindre, dans un des pays les plus riches du monde qu’est la France. Dont la richesse n’a cessé de progresser depuis 1945 et sa
reconstruction.
La retraite devrait être l’exemple même du fonctionnement de la solidarité, et de la redistribution des richesses acquises par l’ensemble de la communauté.
Mais, le modèle de société en cours de constitution est tout autre : une ploutocratie, assemblée de riches super privilégiés, régnant sur
une communauté de moutons de Panurge. Panurge étant, ici, l’appareil médiatique. Ayant comme mécanisme fondateur de l’exploitation : "le travail", considéré comme une vulgaire matière
première.
Seuls étant valorisés, protégés, honorés, le capital et la spéculation.
On a pu mesurer, pourtant, l’importance de ce travail. Une ville peut être paralysée, un pays ne plus fonctionner, si des travailleurs se
mettent en grève. Alors que les actionnaires et les PDG, hyper gavés de rentes, pourraient faire grève, rester sous leurs couettes, sans que la collectivité n’en ressente les moindres
effets...
Preuve d’un profond dysfonctionnement dans l’appréciation et la rémunération du travail par rapport au capital, et à son importance fondamentale pour une société.
Derrière cette violente attaque contre les régimes de retraite s’activent des intérêts de lobbies extrêmement puissants. Ceux des milieux
financiers, comme toujours. Sociétés d’assurances, tout spécialement. Avec pour autre cible prioritaire : la Sécurité
Sociale.
Objectif : leur privatisation, à l’exemple du modèle américain. On sait de quoi il retourne. Aux USA, ceux qui peuvent se payer retraite et protection sociale sont les hauts revenus et les riches. Les autres, marginalisés, restant à leur place : "en bas".
Forts de leur puissance, ces milieux prédateurs ne s’en cachent même pas. Une illustration de ce travail acharné de sape : parmi les membres les plus fanatiques de ces lobbies figure Denis Kessler. Il dirige la SCOR, compagnie de réassurance, après avoir été un dirigeant du groupe Axa, le président de la Fédération française de sociétés d’assurances (FFSA), et le vice-président du Medef aux côtés d’Ernest-Antoine Sellières,
Ce fondamentaliste du capitalisme sauvage, s’était fait remarquer pour ses interventions répétées, en tant que président de la FFSA "... afin de mettre fin au secret médical en réclamant d’avoir accès aux données privées transmises dans les feuilles de soins électroniques (FSE)" (2). Permettant, ainsi, un tri entre les malades potentiellement rentables et les autres. A l’exemple de la pratique des compagnies d’assurances américaines.
N’hésitant pas à dire et écrire clairement, ceux que d’autres pensent :
"La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit
aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance
!" (3).
Restons lucides, cet intégriste du Libéralisme Economique, n’est que la partie visible de l’iceberg. A sa suite, ce sont de gros moyens pour casser le système social de notre
pays.
La présidente du Medef, Laurence Parisot, enfonce le clou. Il y a deux jours, elle envisage avec son organisation de remettre en cause un des droits les plus difficilement acquis, la "durée légale du travail" :
"Je me demande s'il ne faut pas accepter de mettre sur la table la question de la suppression de la durée légale du travail … Tout le monde voit bien que le mécanisme des heures supplémentaires n'est pas suffisant… Je sais autour de quoi certains ministres réfléchissent depuis quelque temps et la question de la durée du travail est un axe de réflexion" (4).
Ces propos confirment ce qu’un ancien inspecteur du travail, Richard Abauzit, a recensé en termes de destruction méthodique, systématique du droit du travail et des acquis sociaux. L’étude qu’il a réalisée, à titre personnel, circule. Il
convient de la lire et de la distribuer autour de soi, pour prendre la mesure des conséquences qui se profilent :
"Nous sommes en train de perdre une à une, dans le plus grand secret, toutes les protections contre les abus de pouvoir que nos
grands-parents ont fait inscrire depuis un siècle dans le droit du travail" (5).
Lui, parle d’une "démolition accélérée" et de "casse" …
Arrêtons avec les faux problèmes créés par l’oligarchie : les retraites et la sécurité sociale trouveraient facilement leur complément
financier, et même au-delà, en taxant tous les revenus des "capitaux spéculatifs" à hauteur de 50 %. Moitié pour le financement du système de protection sociale et des retraites, et
moitié pour le spéculateur.
Etant entendu qu’un capital spéculatif est celui qui est investi à moins d’un an dans des opérations financières non liées à son activité
d’origine, ou à plus d’un an, non lié à des opérations industrielles et commerciales. Telles que les constitutions de réserves foncières ou autres…
Voilà un axe de réflexion sur lequel Laurence Parisot devrait se pencher…
Le démantèlement de l’Egalité
Le cynisme de tous ces nantis soutient que pour "stimuler la croissance", l’Etat doit réaliser des économies. Non pas :
"l’Etat doit améliorer ses rentrées fiscales", et "assurer la redistribution des revenus de la collectivité".
Cette politique antisociale a pour conséquence de mettre fin au principe républicain de l’Egalité. En réalité, l’idéologie d’une ploutocratie
ne peut accepter de cohabiter avec la conception d’une société fondée sur la "redistribution".
Son obsession : ne pas payer d’impôt !...
Ce concept a été étendu à l’entreprise. Ce sont, donc, de multiples avantages, exonérations et autres cadeaux, planifiés en faveur des entreprises. Pour tromper les citoyens, ce sont les termes fumeux de "stimuler la croissance", en faveur des "entreprises", sans cesse évoqués, en boucle, la main sur le coeur. Un disque rayé…
Car, sous le vocable trompeur de "stimuler la croissance", deux "perspectives" sont passées sous silence :
i) ce sont des cadeaux fiscaux en faveur des "actionnaires" des entreprises, et non pas des salariés,
ii) ce sont des cadeaux fiscaux destinés, en priorité, aux "grands groupes" et autres "sociétés multinationales" à capitaux français.
Ne nous laissons pas abuser, par "entreprises", dans la sémantique des politiciens et de la propagande, il s’agit bien des grands groupes, de
la catégorie des sociétés multinationales : grande distribution, banques, compagnies d’assurances, et autres marchands de béton et de canons.
Ceux qui ne créent aucun emploi.
Ce raisonnement se fonde sur le mythe de "moderniser" la société afin de "sortir" de la crise économique, "d’augmenter réellement et durablement la croissance". Et autres tartes à la crème…
Lorsque j’entends ces fariboles, le premier baromètre économique que je consulte est celui de l’industrie dite de "luxe". Car, qui dit difficulté économique ou crise économique, l’est pour toutes les catégories sociales. S’il y a en a qui y échappent, c’est que nous ne sommes pas dans le cadre d’une crise, mais dans celui d’un dysfonctionnement, d’une distorsion : l’absence de mécanisme de redistribution de la richesse nationale. L’absence d’Egalité…
Attention : l’industrie du "luxe" est un secteur économique très segmenté. Il y a luxe et luxe. Ne pensons pas aux parfums, maroquineries, fanfreluches et autres breloques ostentatoires qui donnent lieu, avec raison, à toutes les imitations possibles. Là, nous ne sommes que dans l’arnaque du "paraître".
Il y a un segment bien plus sérieux et consistant, sur lequel je focalise mon attention : "la construction des yachts de luxe". Un monde ultra discret, uniquement pour gens fortunés, avec ses réseaux, médias et foires spécialisées, sans publicité tapageuse affichée sur les abribus ou magazines pour salles d’attente.
Un monde que les analystes et autres pseudo journalistes "économiques" n’abordent jamais. Leurs patrons n’apprécieraient pas, se sentant
visés…
Tous les bateaux supérieurs à 80 pieds (6). Pas ceux que vous voyez habituellement dans nos sympathiques ports de plaisance. Non, ceux-là, beaucoup plus volumineux, sont enregistrés dans des paradis fiscaux, aux Bahamas et autres lieux exotiques. Ces palais de luxe flottants, achetés par les riches actionnaires des multinationales, sur lesquels se prélassent les penseurs et artisans des politiques antisociales.
Tenez, pour vous changer les idées, visitez un de ces bateaux de luxe, bourrés de marbre et de bois précieux : Le Capri. Construit par les célèbres chantiers Lürssen de Brême (7). C’est un 192 pieds. Son réservoir contient 150 000 litres de carburant. Réchauffement climatique ? C’est quoi ça ?...
Figurez-vous que le marché de la construction des bateaux de luxe privés
n’a jamais été aussi florissant. Toutes les études de marchés font ressortir une progression moyenne de 20 % par an. Tous
les chantiers spécialisés, en Europe tout particulièrement, croulent sous les commandes, avec des bateaux de plus en plus luxueux, de plus en plus gros, et, corrélativement de plus en plus chers.
Les français sont de gros acheteurs. Par discrétion, un des français les plus riches fait construire le sien à Taiwan. Un autre, en Nouvelle Zélande. Ah !... La discrétion…
Promenez vous sur les sites des chantiers navals italiens, qui détiennent 35 % environ du marché mondial : Feretti, Cantieri di Pisa, Benetti, Sanlorenzo…
Je ne vous parle pas des coûts de fonctionnement avec équipage, ni des coûts de maintenance annuels, pour ne pas vous encombrer. Ajoutons que ces jouets de luxe ne naviguent, avec leurs propriétaires prédateurs, que quelques semaines par an, dans le meilleur des cas.
Apparemment, les fortunes privées qui achètent ces objets précieux n’éprouvent aucune difficulté quant à la "croissance réelle et durable" de leurs revenus, pour reprendre les expressions alambiquées de Laurence Parisot…
Toujours plus, pour les uns, et toujours moins, pour les autres. Telle est la finalité du démantèlement de cet idéal républicain qu’est
l’Egalité.
Nous évoluons intellectuellement, et en termes de valeurs, comme sous la monarchie de Charles X, qui prétendait remettre en cause les acquis de la Révolution...
L’étouffement de La Liberté
"Serf" en temps de paix, "Chair à canon" en temps de guerre… C’est ainsi que les castes au pouvoir ont toujours considéré "Le Peuple". A moins que celui-ci ne sache se lever, et se faire entendre.
Charles X et les milieux prédateurs de l’époque, représentés par le puissant ministre et prince de Polignac, voulaient supprimer les acquis de la Révolution. Provoquant trois jours de révolte. Les "trois glorieuses" : 27, 28 et 29 juillet 1830. Qui renversèrent définitivement les Bourbons.
C’est le sujet du tableau d’Eugène Delacroix, que j’ai mis en illustration : La Liberté guidant Le Peuple. Sur les barricades se retrouvent toutes les composantes du peuple français, autour de la Liberté : le bourgeois ou l’artisan avec son haut de forme, l’ouvrier avec son béret et sa chemise, la jeunesse avec un gavroche armé… Luttant contre l’armée qui, au lieu de défendre le pays, agissait comme la milice en uniforme d’un régime détesté.
Je le dédie à tous les grévistes qui, sous les diffamations quotidiennes des médias de la propagande, ont eu le courage de faire grève. Accusés, à longueur de journée, de "prendre en otage" les "usagers"...
En cela, ils ont défendu ce droit démocratique élémentaire qu’est la grève. Ils ont surtout lutté pour défendre les valeurs d’une société, où
le travail doit avoir sa juste considération fondée sur le partage de la richesse nationale.
Tout aussi fondamentalement, ils ont défendu une liberté d’expression dont les médias ne sont plus capables. Lâcheté, hypocrisie, mensonge…
L’abjection. Les "grands médias" ne sont qu’un outil de propagande privatisé, au service de la ploutocratie leur maître, contribuant à l’étouffement de toutes les libertés.
Courage d’autant plus méritoire des grévistes que leurs propres dirigeants syndicaux, pour la plupart, ne sont entrés dans cette grève, traînant des pieds, qu’à reculons. Leur attitude me faisant penser à celle des dirigeants syndicaux du chef d’œuvre d’Elia Kazan Sur les Quais, avec Marlon Brando (8).
Bravo aux grévistes et au courage dont ils ont fait preuve.
Comme toujours, c’est une minorité qui agit pour le bien d’une majorité, paralysée par la peur et la veulerie.
Ces grévistes sont le levain qui fait lever la pâte molle d’une nation…
1) Elu à la Présidence de l’Equateur, le 26 novembre 2006, avec plus de 57 % des voix.
2) Il a, pour cet intense travail de lobby, obtenu le prix Orwell 2003. Cérémonie pastiche, organisée par l'ONG britannique Privacy International, visant à dénoncer les atteintes à la vie privée.
3) Kessler, Denis, Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !, Magazine Challenges. 4 octobre 2007.
4) Le Medef suggère de supprimer la durée légale du travail, Le Monde, 21 novembre 2007.
5) Abauzit, Richard, Casse Du Code Du Travail, La Fin Du
Boulot.
6) Le "nautical foot" (feet au pluriel), le pied nautique, en terme de mesure, en usage dans la construction navale internationale, représente 30,48 cm. Ainsi, quand on
parle d’un 80 pieds ou feet, cela équivaut à 24,38 mètres (80 x 30,48).
7) Chantiers Lürssen Werft GmbH & Co, www.lurssen.com
8) Sur les Quais, On The Waterfront en anglais, chef d’œuvre classé à la huitième place du Top 100 de l'American Film Institute, avec un des plus beaux rôles de Marlon Brando. Les relations troubles entre
responsables syndicaux des dockers, mafia et armateurs du port de New York, constituent la toile de fond de ce film.
Illustration : Tableau de Delacroix : La Liberté guidant Le Peuple.