Sur l'écran, un point se déplaçait sur ce qui devait être un chemin, une route, à peine carrossables. Impossible à identifier pour un téléspectateur ordinaire. Un homme sur sa mobylette, en Afghanistan, nous commentaient ces militaires... Dans un documentaire, sur une des chaînes TV de la BBC.
Ces documentaires de propagande qui foisonnent en Occident, pour démontrer combien l'argent des contribuables est efficacement et remarquablement bien utilisé. Evidemment, tout cela pour "lutter contre le terrorisme", et la "défense de nos valeurs démocratiques" gravement mises en danger par de barbares terroristes.
Car, c'est en Afghanistan, que se trouve la première ligne de défense de l'Occident, ne cesse de nous marteler la propagande.
Des pilotes de drones ...
Ces spécialistes, tous officiers, dont une femme, britanniques et américains, pilotent des drones. Ces avions sans pilote à bord, qui volent au-dessus du pays. Pratiquement, nuit et jour. Installés au Nevada, cet Etat des USA, plus connu pour sa célèbre capitale du jeu, Las Vegas, que pour ses centres de pilotage de drones. Ils dirigent ces engins, décollant d'un pays voisin de l'Afghanistan et le survolant, depuis l'une des multiples bases occidentales en Irak, au Pakistan, ou autre pays vassal...
A distance, à partir du sol, à des milliers de kilomètres. Dans un local, climatisé, bardé d'écrans, comme une salle de la NASA. Le tout coordonné par satellite. Fiers de leur appareillage électronique, sophistiqué. Pour eux, à la pointe de la science et de la technologie. En résumé, à la pointe de la "Civilisation"...
Nous étions, donc, en train de suivre cet Afghan à mobylette. Point minuscule. Les spécialistes nous démontrant, bravaches, que rien ne pouvait échapper à la vigilance de leur surveillance. Ce point zigzaguant, probablement pour éviter creux et bosses d'une chaussée inexistante.
Brusquement, sur l'écran, apparaît un champignon, énorme, à la place du "point".
Rayonnants de fierté, les "spécialistes" nous apprennent que ce champignon correspond à l'impact d'un missile. Embarqué sur le drone, il venait d'être lancé par un des leurs, à partir d'une console. Comme dans un jeu vidéo.
Etaient-ils certains qu'il s'agissait d'un terroriste ? Cet Afghan était-il seul ou accompagné ? Quand on sait que dans ces régions une mobylette sert souvent de véhicule familial... Allait-il au marché avec un de ses enfants porté par sa femme, dans les bras ou enveloppé sur le dos ? En quoi, une mobylette et son conducteur menaçaient-ils l'Occident et ses "valeurs" ?...
De toute façon, à les écouter, au-delà d'une personne en Afghanistan, il s'agit d'un rassemblement de Talibans, de terroristes, de coupeurs de têtes, ou de militants. Dans le pois chiche cervical de ces tueurs électroniques, un conducteur de mobylette ne peut être qu'un chef Taliban. Et, le pays est considéré par les forces d'occupation occidentales, comme un champ de tir à vu et sans sommation...
Les pilotes de l'OTAN, c'est connu, s'amusent, entre autres facéties, à faire des cartons sur les fêtes de mariage (1), à tel point que des intellectuels américains se lamentent de voir leur pays devenu une nation "d'écraseurs", de "massacreurs", "d'effaceurs" de noces (2)...
Pas le genre, chez ces pilotes de drones, d'avions, ou d'hélicoptères, à avoir les scrupules d'un officier tel qu'Ehren Watada. Même pas le commencement d'un doute. Ce "point", sur un écran, n'était tout au plus qu'un cobaye pour tester leur "système d'armes", leur matériel de télécommunication et leur cohésion... Un simple "point" qui n'aurait pas dû être là, ce jour là... Fatalité...
La satisfaction du devoir accompli. La mobylette et son conducteur venaient, tout simplement, d'être réduits en cendres. « Obliterated », suivant l'expression favorite de nos amis anglophones : "rayé de la carte" (3). Nous venions d'assister à un crime de guerre, un crime contre l'humanité.
Et ces fanatiques, robotisés, rouages d'une machine militaire et d'une idéologie coloniale qui les manipulent, en étaient gonflés d'orgueil.
... Au tailleur de pierre
Dans un filon identique, récemment, les TV françaises montraient des soldats français à l'entraînement à Barcelonnette, dans le massif montagneux des Alpes. Dans le cadre d'une préparation avant leur prochaine affectation en Afghanistan. Pour renforcer le contingent des troupes françaises déjà présentes dans ce pays.
A l'un d'eux, fut posée la question : comment vivait-il sa prochaine mission en Afghanistan ? Ce brave troufion, bourré de propagande jusqu'au casque, nous recrachait sa leçon : il partait défendre la France, car c'est là-bas que commencent les "frontières de la France". Il faut détruire les terroristes dans leur base arrière...
Persuadé que, dans une caverne avec des écrans, des cartes, comme dans les films de James Bond ou les romans de gare à la SAS, des terroristes implacables ne cessent d'élaborer des plans pour détruire les "valeurs" de la République et de l'Occident. Il partait en Afghanistan pour "casser du Taliban", comme ses prédécesseurs partaient casser du "Viet" en Indochine, ou du "Fel" en Algérie.
La logorrhée coloniale repue de sa bonne conscience, indécrottable de la mentalité occidentale, de siècle en siècle, relookée...
Analphabète de la réalité du pays, il ignore que les Afghans se fichent complètement de la France. Beaucoup ne savent même pas où elle se trouve et ne cherchent pas à le savoir. L'hiver dernier, ils crevaient de froid et de sous-alimentation, comme aujourd'hui ils crèvent de chaleur et de sous-alimentation. Dans un pays où toutes les infrastructures ont été détruites.
Ils veulent vivre en paix, dans un pays libre. Ils ont combattu pendant des siècles pour leur indépendance. Infligeant les pires désastres à l'armée britannique au 19° siècle. Ils ont combattu les soviétiques et, à présent, ils combattent les occidentaux. Ils vont vaincre les occidentaux, comme ils ont vaincu les soviétiques.
Cet endoctrinement me ramenait à la célébration d'un cinquantenaire (4) : l'envoi de la lettre de Marc Sagnier, en date du 4 mai 1958, au président de la république française de l'époque. Il lui avait signifié, en tant que citoyen en uniforme, son opposition à la guerre coloniale en Algérie :
"... J'ai pris la décision de vous informer de mon refus d'y participer (à la guerre d'Algérie) car ma conscience m'ordonne de ne pas faire la guerre à un peuple qui lutte pour son indépendance..."
Marc Sagnier n'a pas déserté, mais a affronté l'institution militaire qui a tout fait pour le briser. La réponse a été rapide. Embarqué de force, interné à Bir El Atar, il était confiné dans un puits 22 heures par jour... Sans jugement, sans condamnation. Même pas par un tribunal militaire. Après un passage à Tébessa dans un établissement disciplinaire il fut envoyé au bagne militaire de Timfouchy, au fin fond du désert algérien, à 400 km au sud de Colomb-Béchar. Dont il ne sorti, épuisé, qu'après 11 mois de traitements inhumains (5).
De son métier : tailleur de pierre, spécialisé dans les monuments historiques, avant d'être mobilisé pour "défendre la France et la civilisation". Pour lui les valeurs qu'il pratiquait ne pouvaient s'accommoder de cette propagande primaire, de l'injustice et de l'horreur. Son père, ancien résistant au nazisme qu'il a combattu, disait de lui : "J'approuve l'attitude de mon fils et j'ajoute que j'en suis fier".
La censure a longtemps bloqué la publication des 153 lettres qu'il a envoyé à ses parents, souvent grâce à des complicités. Ainsi que le courrier de solidarité qui lui était envoyé de toute la France. Aucun film, aucun documentaire, aucune biographie. Sur lui et d'autres, qui ont partagé la même conviction.
On n'en parle jamais, mais plusieurs soldats français ont lutté contre ce conflit colonial, refusant de tuer des populations qui choisissaient l'indépendance. Ils ont payé cette "dissidence" au prix d'internements dans des goulags, sans jugement, sans condamnation : Alban Liechti, Jean Clavel, Voltaire Develay, Lucien Fontenet, Paul Lefebvre, Max Bergeron.
Il manque, en France, un Soljenitsyne décrivant les goulags où étaient enfermés ces "dissidents" opposés à l'idéologie coloniale. Luttant contre l'utilisation de nos forces armées dans ce qui n'a rien à voir avec la défense de notre nation et de ses valeurs. S'opposant au dysfonctionnement de nos "institutions démocratiques", où l'armée n'est plus l'armée du peuple mais une armée de professionnels, comme sous l'Ancien Régime, chargée d'exécuter les guerres décidées par les monarques.
Flonflons, feux d'artifice, défilés de troupes, le 14 juillet n'est plus la fête de la fin de l'injustice sociale et économique de l'Ancien Régime. Progressivement, elle est devenue la fête de l'armée. Non pas la célébration d'une armée nationale, mais la glorification des nouvelles guerres coloniales...
En ce 14 juillet, je pensais à ces soldats, à Marc Sagnier et ceux qui ont partagé sa lutte. A ces hommes courageux qui n'ont pas marchandé les valeurs portées par leur conscience avec les clichés de la propagande coloniale.
Ils avaient compris que les "frontières de la France", ou de la "Civilisation", sont en chacun de nous. Elles ont pour bornes : le respect de soi dans le respect des autres.
Respect de leur indépendance, de leur liberté.
Respect de la dignité humaine.
(1) Les derniers "cartons" des pilotes de l'OTAN sur des fêtes de mariage en Afghanistan, rien que dans la seule province de Nangarhar, la
semaine dernière : 47 personnes dont 39 femmes et enfants dans une première opération, et 23 personnes tuées dont la mariée, dans un seconde opération. Les deux ont été qualifiées par les
occidentaux d'opérations contre des groupes de "militants" : http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/ISL238847.htm
(2) "... We have become a nation of wedding crashers... wedding-obliteration...", in Engehardt, Tom, Five weddings and many funerals, Asia Times, 15 juillet 2008.
(3) Au passé, du verbe To Obliterate : annihiler, oblitérer, effacer, détruire, rayer de la carte (Harrap's Shorter - Dictionnaire). Mot employé par Hillary Clinton, pendant sa campagne électorale, pour en menacer l'Iran. Très en vogue chez les "ziocons"...
(4) Bulletin France El Djazaïr, n° 10 - Juin 2008, Directeur de la publication Djouder Moussa, 7 rue de Montaury - 30900 Nîmes.
(5) Marc Sagnier, le reste de sa vie, a enduré les séquelles de ces traitements. Il est mort, en janvier 1995, à l'âge de 58 ans.
Photos de drones. Source : http://www.onera.fr/conferences/drones/