« L’Apache est l’animal le plus vif et le plus rusé du monde, avec, en plus, l’intelligence d’un être humain ».
Commandant Wirt Davis – 1885 (1)
Rien.
Neurones inertes.
Face à l’avalanche de Ben Ladeniaiseries…
Hystérie médiatique succédant, sans souffler, à celle du mariage princier, du cheval et de la cruche (The Horse & the Mug), surnommés ainsi par les britanniques lucides et hilares. Cadencée par le marteau-pilon de la propagande.
Où puisent-ils pareille énergie ?...
Occultant minutieusement les multiples manifestations du 1er Mai, dans le monde, célébrant, revendiquant, une des valeurs fondamentales de nos collectivités : “Le Travail”. Sous sa forme élaborée, civilisatrice, qu’est “L’Emploi”, digne et épanouissant. Une des plus impressionnantes étant le défilé, à Madrid, de plus de 500.000 personnes.
Imagination tempétueusement océanique, en plus !... Narrative des anglophones, récit, roman, légende, épopée, variant suivant les conteurs : présidentiables vendus, politiciens achetés, “spécialistes” allumés, chroniqueurs timbrés, galonnés “enfumeurs”, traîneurs de sabre “emmédaillés”, et autres griots en godillots. Versions aussi changeantes que rouleaux de houle au gré des vents et courants.
L’assassinat héliporté d’un zombie, en famille dans sa villa. Ex-associé de ses futurs assassins… Un mort-vivant ne cessant de renaître au fil des ans. D’insuffisances rénales en bombardements, de cavernes en compounds, comme disent les journalistes d’investigation et les “experts” qui leur tiennent le stylo…
En matière de zombie, je le confesse foncièrement inculte, j’en suis resté au Thriller de Michael Jackson. C’est vrai. Ça date un peu.
Dans une opération commando, franchissant “furtivement” les centaines de kilomètres de l’espace aérien d’un pays souverain et allié. Pour atterrir près de sa principale école militaire. A son insu. Pas du zombie, du pays souverain.
170 millions d’habitants, millions de crève-la-faim. Caste au pouvoir pourrie jusqu’au iPhone, complice de l’Empire dans le démantèlement et la paupérisation de sa propre nation. Dotée d’une des meilleures couvertures radar de la planète, dans la crainte paranoïaque d’une attaque surprise de son grand et menaçant voisin. S’étripant dans de récents conflits frontaliers, jusque dans la partie Himalayenne du Cachemire, à plus de 5.000 mètres d’altitude : l’Inde…
“Celui qui bâille”
Soudain, j’apprends que la fin de l’opération s’est conclue par le message en anglais "chewingommesque" du responsable du commando, un triomphal :
« Geronimo KIA » !
KIA : rien à voir avec un marchand de meubles en tranches, de chiffons en paquets ou d’automobiles à gadgets. C’est la contraction, l’euphémisme passe-partout : Killed In Action. Traduction à double sens : “Tué ou Mort au Combat”, lorsqu’il s’agit de ses propres soldats ; “Liquidé”, si c’est l’assassinat d’un “ennemi” par des services spéciaux.
Mais : Géronimo !...
Nom de code donné au "mort-vivant" !
Me bourrer les narines de piment rouge aurait provoqué le même effet. Jets de fumée évacués par les oreilles !
Géronimo, un de mes héros depuis l’enfance, avec Cochise, Cheval Fou, Taureau Assis et tant d’autres Grands Chefs des Peuples Indiens ! (2) Résistant à l’invasion des colons débarquant d’Europe, leurs massacres, leurs spoliations. Luttant, avec un courage aussi immense que leur désespoir, contre le génocide de leur Nation, l’éradication de leur civilisation. (3)
Dans une vie antérieure, j’ai dû être Apache, Sioux ou Cheyenne, tant j’admire leur combat. Lectures ou westerns, toujours à leurs côtés. Incapable de supporter la bonne conscience des génocidaires. Symbolisé par le caricatural “casseur” d’Indiens cinématographique John Wayne (“casseur”, aussi, de Vietnamiens dans le film Green Berets…), au déhanchement de danseuse du Lido. Fantasmatique silhouette callipyge, en moins.
Geronimo appartenait à la Nation Apache, mosaïque tribale et clanique, semi-nomade. Un Apache Bédonkohé, « Ceux qui sont devant, à l’extrémité », en fait aux confins de la frontière actuelle du Mexique - USA. Né en 1823, dans le sud-ouest du Nouveau-Mexique contemporain.
Il s’appelait Goyahkla, "Celui qui bâille". Le nom donné aux enfants provenait d’observations, d’évènements, au moment de la naissance ou des premiers mois. Cheval Fou, membre de la Nation Sioux, a reçu son nom en souvenir d’un cheval emballé traversant au galop le campement, lors de l’accouchement de sa mère. Geronimo, était un bébé repu, choyé, paisible. Bâillant de bonheur…
Devenu adulte, vivant sereinement au sein de sa famille et de sa tribu. Au retour d’une journée de marché et de troc à l’ombre de la palissade du fort de Janos dans l’Etat de Chihuahua, les hommes découvrent leur campement détruit, incendié, femmes violées, éventrées, bébés démembrés, vieillards décapités. Un raid de miliciens mexicains, les rurales, cow-boys au service des grand propriétaires. Goyahkla, en 1850, découvrit sa mère, sa femme et ses 3 enfants, assassinés.
Il devint implacable de vengeance. Avec les hommes rescapés, il poursuivit les rurales, les exterminant, souvent armé de son seul couteau, dans une guérilla méthodique. Acquérant son nom de guerre mythique, de résistant : Geronimo.
L’avancée de la colonisation européenne, telle une lente montée des eaux, se déroulait, s’accentuait, dans le massacre des autochtones. Tuer un indien était considéré comme un « meurtre légitime », donnant lieu à l’octroi de primes pour les civils, de décorations et de promotions pour les militaires. Mineurs, chercheurs d’or, éleveurs, agriculteurs, se livrant souvent à plus d’atrocités que les soldats.
Parmi les “chasseurs d’apache” les plus tristement pervers : King S. Woosleyil. Adepte de la “guerre chimique”, s’amusant à déposer en bord de piste des sacs de piñole (mélange de farine et de sucre), simulant la chute d’un chargement. Au préalable, truffés d’un poison foudroyant : la strychnine. (4)
Il recruta sa propre milice, ramassis d’une trentaine de tueurs aussi sanguinaires que sadiques, et se spécialisa dans l’extermination de villages ou de groupes d’Indiens en transhumance. Dont le sinistre massacre de Bloody Tanks, en 1864. De préférence, pendant les moissons du maïs et du blé, les hommes partis à la chasse. Anéantissant femmes et enfants, à leur aise. Ainsi, du massacre de Piñal Creek, dans l’Arizona d’aujourd’hui.
Ou encore, William S. Oury organisateur du massacre de 150 villageois pacifiquement installés au bord d’une rivière, le Camp Grant, le 30 avril 1871. Avec meurtre des femmes, préalablement violées, accompagné du carnage des bébés et enfants. A l’époque, ces "opérations" étaient planifiées non pas pendant la saison des mariages propices aux rassemblements, comme dans certains pays, mais durant les moissons où les hommes quittent leurs villages pour chasser. Assurer la réserve de viande fumée pour l’hiver.
Saccages et tueries, occasions de séances de liesse bénies par les évangélistes, célébrées par les médias. Déjà… Citons, The Arizona Miner :
« Hurrah pour les Rangers du Comté Yavapai ! Nous sommes heureux de constater que nos rangers ne s’embarrassent pas de faire des prisonniers parmi les meurtriers peaux-rouges. La coutume précédemment adoptée, même par notre armée, de capturer femmes et enfants parait en voie de disparition ». (5)
Pris entre marteau et enclume : grands féodaux espagnols devenus mexicains, et yankees affairistes au nord du Rio Grande. Dialoguer, signer des traités, échanger des promesses, ne suffisaient pas. Les chefs des communautés Apaches étaient sidérés. Leurs propos, d’après les témoignages historiques, exprimant le désarroi :
Mangus Colorado :
« Les Américains sont d’une race violente, prête à exterminer les Apaches pour voler leur terre. Faut-il se battre ou parler avec eux ?... ». (6)
Unojo :
« Les Américians nous ont pris nos champs de maïs et de blé. Que devons-nous faire ? ». (7)
Eskiminzin :
« … Ils doivent être fous. Ils ont agi comme s’ils n’avaient ni cervelle ni cœur … Ils doivent être assoiffés de sang. Ces gens écrivent dans les journaux et racontent leur propre version de l’histoire. Les Apaches n’ont personne pour raconter la leur. » (8)
Inconscient collectif
La guerre civile entre le nord et le sud des USA (1861 – 1865) une fois terminée, tous les efforts du gouvernement américain ont été investis dans l’éradication, physique et culturelle, des peuples Indiens. Sans transition, c’était passer de l’angélique « lutte contre l’esclavagisme », à l’impassible génocide Indien. Rayer de la carte. Sur l’ensemble des territoires. Dans une guerre à outrance.
Les survivants étant déportés à des centaines de kilomètres de leurs lieux d’origine et parqués dans des « réserves ». Véritables camps de concentration. Loin de leurs terres de cultures, de chasses et d’échanges commerciaux. Economie brisée. Leur société pulvérisée, ne survivant que de la distribution de rations, d’aides, au bon vouloir de leurs geôliers.
De préférence dans des zones insalubres et propices à la propagation de maladies. Aujourd’hui, on parlerait sans l’avouer de « guerre bactériologique »… Visitant le Camp de concentration de San Carlos, le jeune Lieutenant Bretton Davis, encore imprégné de quelques principes humains, en est choqué :
« En été, une température de 44 degrés à l’ombre était considéré comme fraîche. En toute autre saison de l’année, des moustiques, des insectes inconnus infestaient le pays par millions ». (9)
Comme les autres peuples Indiens en lutte, les Apaches malgré une héroïque résistance ne vont pas échapper au sort fixé par les colons. A bout de ressources, Geronimo après des années de résistance, de fuites et de combats, se rend l’été 1886. Pourchassés par cinq mille hommes, le quart de l’armée des USA d’alors, et 3000 soldats mexicains.
Avec lui, ne survivaient plus que 34 hommes, femmes et enfants. Considérés et traités en « renégats ». Ils vivront la déportation sur des centaines de kilomètres, de camps de concentration en camps de concentration, près des forts ou des casernements. Entassés avec d’autres peuples, déportés d’autres territoires.
Leurs enfants, séparés de leurs parents, envoyés eux-mêmes dans le nord des USA, en Pennsylvanie. Dans des établissements religieux, forcés d’oublier leurs langues et coutumes dans l’apprentissage par cœur de La Bible. En bons petits sauvages qui doivent dire merci d’être élevés à « la civilisation ». Sous-alimentés, beaucoup meurent de tuberculose.
Déportation, enchaînés, au sud de l’Alabama, à Mt Vernon Barracks près de Mobile. Puis en Floride au bord des marécages et étangs insalubres du Golfe du Mexique à Fort Pickens, Pensacola. Plus loin encore. Toujours en Floride, mais sur l’Atlantique, à Fort Marion. Son exceptionnelle constitution permettra à Geronimo de survivre là où beaucoup des siens seront emportés par paludisme, tuberculose, sous-alimentation, épuisement, désespoir.
Symbole de la résistance héroïque de la Nation Indienne, les colons feront tout pour l’humilier, le diffamer, le ridiculiser, jusqu’à l’exhiber, alors âgé, comme une bête de zoo devant la « bonne société ».
Agé de quatre-vingt cinq ans, il meurt d’une pneumonie. Le 17 février 1909.
Rares sont ceux qui n’ont pas admis la calomnieuse propagande coloniale à l’encontre des peuples peaux-rouges. Courageusement, en 1884, le Lieutenant Bretton Davis en dénonçait l’argumentaire :
« En ce qui concerne la perfidie, les engagements non tenus, les mensonges, les vols, les massacres de femmes et d’enfants sans défense, et tous les autres crimes figurant au catalogue des actes de cruauté perpétrés par l’homme envers son prochain, l’Indien n’était qu’un simple amateur en comparaison du « noble homme blanc ». Il commettait des crimes au détail, nous en commettions en gros ». (10)
Etiqueter la mission d’assassinat d’un zombie du nom de Geronimo n’a pas simplement choqué les descendants des survivants du génocide de la Nation Indienne, quel que soit leur groupe ethnique, où il est immensément respecté de nos jours. (11) C’est un acte révélateur, une signature de l’inconscient collectif de la nomenklatura des USA.
Avec un double effet, fanatiquement stupide :
=> Accoler Geronimo au nom de "l’ennemi le plus méprisé" c’est avouer que le génocide de la Nation Indienne n’est pas encore reconnu, regretté, mais au contraire revendiqué inconsciemment dans l’expression d’un racisme viscéral.
=> Accoler Geronimo au nom de "l’ennemi le plus recherché", c’est reconnaître et lui attribuer un statut de « renégat », résistant, rebelle, insurgé. Et, non pas celui de simple criminel.
Témoignage du niveau d’abrutissement des ganaches belliqueuses, assimilant dans leur analphabétisme culturel le nom de Géronimo, héros d’une résistance, symbole de la lutte pour la liberté et la dignité d’un Peuple, à un règlement de compte entre services spéciaux…
« Justice est faite ! Bon boulot ! », clament les Droits de l’Hommiste ! Incantation reprise par la chorale des veaux…
CIA…
ACI : Apothéose du Cynisme Imbécile.
(1) David Roberts, Nous étions libres comme le vent, De Cochise à Géronimo – Une histoire des Guerres Apaches, Albin Michel, Collection “Terre Indienne”, 1993, p. 13.
(2) Superbe ouvrage, richement illustré : Colin F. Taylor & William C. Sturtevant, Les Indiens d’Amérique du nord, Editions Solar, 1992.
(3) Le regard d’un anthropologue sur les Amérindiens du continent américain, nord et sud : Jack Weatherford, Ce que nous devons aux Indiens d’Amérique, Albin Michel, Collection “Terre Indienne”, 1993.
Consulter, aussi, un des meilleurs connaisseurs de la spiritualité et de la civilisation Indiennes des Grandes Plaines : Frithjof Schuon : http://www.frithjof-schuon.com/indians.htm
(4) Jean-Louis Rieupeyrout, Histoire des Apaches – La fantastique épopée du peuple de Géronimo – 1520-1981, Albin Michel, 1987, p. 159.
(5) Jean-Louis Rieupeyrout, Op. Cit., p. 163.
(6) Jean-Louis Rieupeyrout, Op. Cit., p. 97.
(7) Jean-Louis Rieupeyrout, Op. Cit., p. 178.
(8) Jean-Louis Rieupeyrout, Op. Cit., p. 177.
(9) Jean-Louis Rieupeyrout, Op. Cit., p. 193.
(10) David Roberts, Op. Cit., p. 293.
(11) Charles McChesney, Onondaga Nation leaders blast 'Geronimo' codename for Bin Laden, The Post Standard, 4 mai 2011, http://www.syracuse.com/news/index.ssf/2011/05/onondaga_nation_leaders_blast.html
Photo : Geronimo (à droite) et ses derniers guerriers