J’aime le Jazz.
Mon instrument favori ?... Le saxo.
Pourtant, j’ai pratiqué longtemps le piano. La musique classique. Pas jusqu’au niveau de notre regretté Edward Saïd, qui pouvait interpréter les plus grandes oeuvres dans des concerts.
J’ai dû rater ma vocation et me tromper d’instrument. Eternel problème de ces choix parentaux qui ne correspondent pas à celui de l’enfant. Volonté d’imiter le père, aussi bon pianiste que grand voyageur, ou grand absent, lui aussi ?...
Je ne leur jette pas la pierre. La musique est une fantastique ouverture. Une croisière sur un océan d’émotions. Un des meilleurs chemins initiatiques de la rigueur et de la découverte intellectuelles.
Mais, je me promets, dans une vie future, puisque nous aurions sept vies, comme les chats : je serai joueur de saxo dans un orchestre de jazz…
Que m’arrive-t-il ?... Je parle de moi, alors que je voulais vous présenter un des musiciens que j’admire le plus :
Gilad Atzmon !...
Je l’avais mentionné, ici et là, dans des commentaires. Il vit à Londres. Internationalement connu et estimé.
Car, vous l’avez compris, si je le fais figurer dans mon album « Artistes et Ecrivains », c’est qu’il est exceptionnel.

J’apprécie le talent d’un artiste quand il est au confluent de plusieurs disciplines, fondé sur une authentique créativité, en constant renouvellement. D’un artiste qui n’a pas pour seules préoccupations le plan marketing de son “segment de clientèle”, et le solde de son compte en Suisse.
Un artiste qui, au-delà de son art, appartient à la communauté des hommes, dont il défend les valeurs : de justice, de paix et de fraternité. Qui donne du "sens", pas seulement à son existence, mais à celle de notre humanité.
Avec Gilad Atzmon, on a la chance d’avoir ce bouquet de dons, à commencer par celui du don de soi…
Un des meilleurs saxophonistes actuels, si ce n'est le meilleur. Dans la grande tradition des John Coltrane ou Charlie Parker. Ceux qui lui en ont fait découvrir la beauté du son. Il joue de tous les saxophones : soprano, alto, baryton… Mais aussi, comme Johnny Clegg, d’autres instruments : clarinette, flûte, synthétiseur.
Créant un orchestre, en 1990, l’Orient House Ensemble, il explore, avec des musiciens et chanteurs aux nationalités multiples, les cultures des différents quartiers du village qu’est notre planète : Europe, Moyen Orient, Afrique, Amérique latine… Il adore le tango. Métissage des mélodies, des rythmes, des sensibilités, des styles.
Compositeur de talent, il produit des œuvres somptueuses. Dont le célèbre album Exile, obtenant la distinction du meilleur album de Jazz de l’année 2003, par la BBC (1). Dans cet album on peut y entendre la voix sublime de la chanteuse palestinienne Reem Kelani. Ecoutez : “Dal’Ouna On the Return”… Ou encore, le chanteur et joueur de luth tunisien Dhafer Youssef.
Au mois d’octobre 2007, il a sorti son cinquième CD : Refuge. On ne le commercialise, sur “le continent”, que depuis le mois de janvier 2008. Si vous ne le trouvez pas encore dans les bacs de vos disquaires, allez sur son site déguster une de ses nouvelles créations : Autumn in Baghdad… En l’écoutant, son saxo me murmure les vers de Verlaine : “Il pleure dans mon coeur, comme il pleut sur la ville…”
A ses heures perdues, c’est un romancier. Ses deux romans sont des succès traduits dans une vingtaine de langues : A Guide to the Perplexed (2) et My One and Only Love (3).
C’est, avant tout, un militant infatigable. De la beauté, insiste-t-il ! Beauty as weapon, aime-t-il répéter. De l’harmonie. Il considère que la justice et la paix sont indissociables de cet ordre là. La dignité humaine, en premier.
Il défend entre autres causes, mais en priorité, le peuple Palestinien, oublié de tous. Il se sent leur frère. Sa musique est imprégnée de ce sentiment. Lisez, ou relisez, son fameux entretien avec l’écrivain espagnol Manuel Talens (4). Il s’en explique. Remarquable de pertinence dans l’analyse. Magnifique de conviction et de sérénité.
Oui. J’oubliais : il est juif, comme le chanteur Johnny Clegg ou la cinéaste Keren Yedaya, qui figurent dans mon album. M’impressionnant par leur talent, et le courage de leur engagement. Pour qui je ressens autant d’affection que d’admiration.
Gilad Atzmon est né en Israël. A Tel Aviv. Il a 45 ans. Militaire, il a servi pendant l’invasion du Liban, en 1982. Sous les ordres du général Sharon, qu’il considère comme un criminel de guerre (5).
Atrocités et horreurs, avec les massacres des civils des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Vieillards, femmes, enfants, nouveaux nés, animaux domestiques, chiens, poulets, pigeons. Tout y est passé. Une orgie sanguinaire. Tronçonnés, éventrés, cloutés sur des portes…
Il n’a pas supporté. Il a quitté Israël, s’est exilé à Londres.
D’où le titre, plus tard, de ses oeuvres : Exile, Refuge...
Après des études de philosophie, il s’est lancé dans la musique. Car, il se sent en exil :
“ Je parle Hébreu et ma patrie c’est la Palestine. Contrairement à Israël, une organisation politique raciste et nationaliste, la Palestine est une entité géographique. La Palestine est authentique et vraie ; Israël est artificiel et imposé.” (6)
Bien sûr, lui, juif, vétéran de l’armée israélienne, s’est fait accuser d’antisémitisme, de négationnisme, par les extrémistes sionistes… Censurant son dernier livre, dans sa parution en hébreu.
Les fous furieux de la violence aveugle et de la destruction massive. “Antisémite” : leur seul argument, leur seule arme, leur fatwa.
Le “terrorisme intellectuel”.
Pour des partisans du racisme, de l’apartheid, des tortures, des humiliations, de la terreur d’Etat, quoi de plus naturel ?...
Mais, les praticiens des crimes contre l’humanité, les fanatiques, les sanguinaires, peuvent-ils comprendre ce qu’est un "Juste" ?...
(2) Editeur : Serpent’s Tail – London – 2002.
(3) Editeur : Saqi – London – 2005.
(4) Entretien paru, sous le titre “La belleza como arma politica”, dans la revue mensuelle mexicaine Memoria, n° 202, décembre 2005.
(5) Entretien avec Manuel Talens. Op. Cit.
(6) “I do speak Hebrew and my homeland is Palestine. Unlike Israel, a racist and nationalist political apparatus, Palestine is a piece of geography. Palestine is authentic and genuine; Israel is artificial and imposed.” In: Entretien avec Manuel Talens. Op. Cit.
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